In Animal Tongue
Evangelista
Il y a des gens qui croisent un beau jour notre route, nous accompagnent quelques temps de manière distante puis disparaissent sans crier gare. Pour un jour réapparaître. On les retrouve changés et en même temps fidèles à eux-mêmes. C'est le cas de Carla Bozulich. Ce nom évoquera peut-être quelque chose chez certains d'entre vous. Il évoquera plus précisément une voix très particulière, de celles qui se distinguent par leur différence et leur non-correspondance aux canons esthétiques du chant féminin. Cette voix est celle de la petite brunette furieuse qui sévissait au sein des Geraldine Fibbers, combo des nineties qui produisait une musique curieuse, à cheval entre country, rock, punk, et blues cradingue. D'autres se souviendront aussi de ses contributions au fabuleux Ball-Hog or Tugboat? de Mike Watt sur lequel l'ex-Minutemen et fIREHOSE réunissait tout ce que le rock indépendant produisait de meilleur dans ces années-là (Frank Black, Sonic Youth, Lemonheads, Screaming Trees, Epic Soundtrack, Beastie Boys, Dinosaur Jr, Henry Rollins, Dave Grohl...).
Passée cette époque dorée, on a perdu Carla Bozulich de vue. Elle n'est pourtant pas restée inactive comme en témoigne sa copieuse discographie, mais ces échos ne nous sont pas parvenus et nous n'avons pas non plus eu la délicatesse de prendre de nouvelles durant toutes ces années. C'est alors avec surprise et un certain bonheur que l'on retrouve ce nom sur les albums d'un groupe nommé Evangelista et que l'on identifiera rapidement comme le nouveau projet de la demoiselle. Voici donc venir In Animal Tongue, et la première chose que l'on se dit, c'est que c'est un album à l'image de sa pochette : d'un expressionnisme à la fois sombre et coloré. On constate également en parcourant la jaquette qu'elle a su garder l'estime de ses pairs: on y croise notamment dans les featurings ou à la production Nels Cline (guitariste émérite de Wilco et ancien compagnon de route des Geraldine Fibbers), Sophie Trudeau et Efrim Menuck de Godspeed You! Black Emperor et A Silver Mt. Zion ou encore Ches Smith de Mr. Bungle, Secret Chiefs 3 et Xiu Xiu, autrement dit pas des manches de pioches.
Par rapport à ses prédécesseurs, l'album développe des ambiances toujours aussi sombres et inquiétantes mais la mise en musique joue davantage sur la palette chromatique, quand les précédents albums jouaient principalement sur le monochrome. On pense parfois à une version de poche de Radiohead rencontrant Godspeed You! Black Emperor dans un café de Norvège pendant la nuit polaire. Certains évoquent également Lydia Lunch, autre grande prêtresse habitée pour le côté parfois presque gothique, et les ambiances torturées. Les morceaux sont également plus courts et ramassés mais la tension est toujours présente comme sur "In Animal Tongue" et "Black Jesus". Carla Bozulich y déploie sa voix et ses textes dans un flot qui donne parfois l'impression de partir un peu dans tous les sens - mais en même temps c'est aussi un peu ce qui fait son particularisme. Les titres comme les morceaux dépeignent un univers à la fois cru et onirique, tels "Artificial Lamb", "Tunnel To The Stars" ou Enter The Prince". Ce qui est certain, c'est que Carla Bozulich a trouvé dans ce nouveau projet un bien bel écrin en mesure de mettre parfaitement en valeur les méandres de sa voix et de ses ambitions artistiques.