I'm New Here
Gil Scott-Heron
Gil Scott-Heron pourrait être mort. Plusieurs fois même. Nous ne faisons pas là référence à son histoire de vie chaotique mais à l'aura qui l'entoure. Oui, Gil Scott-Heron est aimé, adulé, sacralisé comme s'il était déjà parti. Il faut dire que dans l'espace médiatique, il n'a effectivement plus d'existence réelle depuis longtemps. Lui qui n'a sorti qu'un disque depuis 1982 a systématiquement refusé entretiens et interventions télévisées depuis sa grande époque. Insaisissable, en plus, on ne sait jamais où pêcher sa carcasse entre l'anonymat d'Harlem et les séjours carcéraux qui rythment son parcours. Il est donc peu dire que Gil Scott-Heron est un mythe, même pris à son sens le plus littéral, car même à le savoir en vie on ne fait qu'y croire comme à une légende urbaine, sans preuve ni fait avéré qu'il est bien toujours les parages.
De fait, quand Gil Scott-Heron retourne vraiment aux affaires, avec un nouvel album, c'est un peu l'impression d'accueillir un revenant qui nous étreint. Avec un brin d'ironie, il s'annonce avec cette phrase, I'm New Here. Lui qui a marqué à jamais la musique black et ses mouvements contestataires souhaiterait revenir comme pour un premier jour, avec les présentations à faire et tout à prouver. Et il n'a pas tort, dans un sens, car si personne ne remettra en cause l'empreinte qu'il a laissée dans le monde de la soul et du jazz, il n'y avait en revanche aucune assurance que Gil Scott-Heron pouvait, en 2010, faire encore partie des modernes. Car ce retour aurait pu après tout être complètement replié sur lui-même, I'm New Here aurait pu seulement flatter son auteur et toucher les nostalgiques. Heureusement il n'en est rien, et c'est au contraire un disque proprement avant-gardiste qui déboule sur nous.
Gil Scott-Heron fait table rase de ces acquis. Pieces Of man et The Revolution Will Not Be Televised sont loin. En 2010, on ne fait pas de la musique comme avant, l'ère est aujourd'hui électronique et globalisée. I'm New Here n'est pas un disque black, certainement pas. Pas quand le morceau-titre est une reprise de Smog et qu'on croirait y entendre Johnny Cash, pas non plus quand Damon Albarn joue des claviers sur le standard blues "I'll Take Care Of You", encore moins quand les rythmiques électroniques se réfèrent toutes à la tradition britannique – trip-hop, dubstep, indus. Que reste-t-il alors du Gil Scott-Heron de nos vieux vinyles ? Une voix, un spoken word, un discours. Toujours cette bouleversante poésie narrative où l'intime et le social ne font qu'un. Et toujours chez nous ce pouvoir d'être capté par un type, un simple type qui ose prendre la parole.
Les coordonnées ont changé mais Gil Scott-Heron ne s'est pas paumé. Exemple parfait de cette subtilité, les morceaux introductifs et conclusifs, où la confession familiale se fait sur un sample de Kanye West. Quelque part, ce disque se fout de notre gueule. Car, en 28 minutes bourrées d'interludes, qui plus est par un vieux loup qui ne s'était pas exprimé depuis 1994, I'm New Here nous donne des nouvelles de notre époque. On est même pas sûr que ce soit un vrai come-back. Peu de chance que Gil Scott-Heron soit revenu pour rester. On croit bien plus que ce n'est qu'un geste, nous laisser cet objet, pour nous réveiller, avant de disparaître encore.