I'm Happy, and I'm Singing and a 1,2,3,4
Jim O'Rourke
Jim O’Rourke n’est pas loin d’être considéré comme une légende par certains. Si la musique offre un large panel de possibilités pour qui veut bien s’en saisir, il est rare de voir un activisme aussi intense que celui qui caractérise l’Américain : producteur émérite pour des formations aussi talentueuses que peuvent l’être Wilco, Joanna Newsom, Stereolab ou encore Faust ; membre durant cinq années des intenables Sonic Youth et aussi électronicien pionnier, seul ou en collaboration (le super-groupe Fenn O’Berg, aux côtés de Fennesz et Peter Rehberg). Quand il n’est pas tiraillé entre les groupes qu’il supervise avec soin, Jim O’Rourke aime se faire plaisir en sortant ses propres productions sur ce qu’il a coutume d’appeler des labels plus « modestes » (tout étant bien sûr relatif puisque Editions Mego est de loin la plus belle plaque tournante du son expérimental), lui permettant d’aller au plus loin de ses aventures électroniques.
I’m Happy, and I’m Singing and a 1,2,3,4 n’est pas neuf, mais sa sortie en 2001 a été l’objet d’un tel plébiscite qu’il est rapidement devenu un objet de collection, épuisé quelque temps après sa mise en vente. On n’a cessé de parler de cet album comme l’aboutissement de l’extrémisme pop électronique, les derniers retranchements d’un genre trop souvent galvaudé par les moins sages, allant jusqu’à chercher une note sans appel auprès de nos « confrères » américains de chez Pitchfork - un 9.0 aussi rare qu’une goutte dans le désert. Redonnant une deuxième vie à l’usage du laptop, l’Américain se lance dans des demi-improvisations où s’entremêlent avec complexité des sons minimalistes aux consonances lointainement pop. Les deux premières pistes (respectivement 11 et 8 minutes) sautillent et tournoient dans des océans de reverb, de cavalcades étouffées : on tient bien là l’énergie euphorisante de la pop music, ses candeurs, ses peurs jamais assumées. « And a 1,2,3,4 » est le pendant cauchemardesque des deux premières pistes : tout au long de ces vingt minutes, Jim O’Rourke semble ne pas se remettre du trop-plein de joie précédemment composé, cherche à tout prix des aspirines pour soigner une descente de cuite mal gérée.
Son minimalisme électro-acoustique est admirable de toute part, ne se refuse rien tant qu’il s’agit de beauté épurée, d’anticonformisme rafraîchissant et d’avant-garde indispensable. D’ailleurs il n’y a qu’à voir les nombreux enfants qu’a engendrés ce disque dès sa sortie : Dan Deacon et sa geek-pop, dont l’ « extraordinaire » audace ne trouve finalement son inspiration que dans ce monument post-electro-pop ; Animal Collective et son récent tournant électronique, qui est aussi lié comme un demi-frère à cette mini-collection de pépites. Mais là où ces groupes sont l’instinct, Jim O’Rourke est la science, la mathématique du son rugueux et réfléchi, là où l’humain calcule les accidents sonores comme une calculette scientifique les racines carrées. Ajoutez à cela un deuxième disque rassemblant trois pièces inédites datant de la composition originale (pour une heure supplémentaire, dont les quarante minutes de « Getting The Vapor » sont à couper le souffle) et vous obtenez avec I’m Happy and I’m Singing, and a 1,2,3,4 une œuvre balise qui sent bon la drogue et les hallucinations postopératoires. Finalement, l’avantage de ce genre de disque est que sa note ne pose aucune équivoque au moment de finaliser la chronique.