Ilion
Slift
Le vaisseau, endommagé, à la dérive non loin de la ceinture d’Orion, semble inoccupé. Notre équipage, après avoir voté d’une courte majorité d’en explorer l’épave, y envoie une petite équipe de sauvetage. Bien sûr, un médecin nous accompagne, au cas où, mais notre mission consiste avant tout à récupérer le matériel qui pourrait s’avérer utile en cas de disparition inopinée des occupants de ce cargo de ravitaillement. Alors que le sas de notre navette se connecte à celui-ci, nous attendons le clic salvateur nous assurant que la cabine est pressurisée. La porte s’ouvre. Pas de lumière, pas un bruit, mais l’odeur de la mort, même à travers le casque de la combinaison. Et bim, un solo de huit minutes !
Le trio de Toulouse est de retour avec Ilion, une suite directe de son précédent opus Ummon qui avait créé la surprise en 2020. Comme sur ce dernier, le saut qualitatif avec l'album précédent est immense et l’ambition décuplée. Ilion, en plus d’être un monstre de stoner psyché, est également un space opera inspiré par l'Iliade et l'Odyssée, avec les moyens d’un blockbuster hollywoodien. Avoisinant la durée d’un long-métrage, Ilion en embrasse également la structure avec une ouverture à froid qui donne le ton, des morceaux de bravoure et d’introspection qui s’entrecoupent pour finir sur une confrontation finale et un générique de fin. Pour accompagner cette évolution, Slift a signé chez Sub Pop l’année dernière. Le label historique de Seattle a ainsi accueilli son premier groupe français en 30 ans (après les Thugs) en lui donnant les moyens de produire l’album qu’il avait en tête.
Le disque s'ouvre sur le morceau inaugural et éponyme, « Ilion », le fameux single de 11 minutes qui résume la formule : du rock/métal de dungeon master biberonné à Led Zep' et Metallica. Porté par la batterie nerveuse de Canek Flores, le chant à l’unisson des frères Fossat nous parle d’apocalypse et d’exploration. La guitare de Jean et la basse de Rémi s’embrasent jusqu’au déluge sonore qui s'éteint dans des chœurs éthérés sur des nappes de synthés cosmiques. Après le premier morceau, l’album ne s’arrête plus jamais vraiment jusqu’à « Weaver’s Weft » qui inaugure un deuxième acte plus mélancolique.
Nul besoin d'aborder la richesse de chaque piste (10 minutes en moyenne) tant Ilion est cohérent, mais sachez qu’au début de « Confluence », vous ne serez pas surpris d'entendre le saxophone sous reverb de ce bon vieux Etienne Jaumet (Zombie Zombie) qui s’emballe comme sur un Oiseaux-Tempête des grands jours. Car Slift, sans en faire sa sonorité principale, se range facilement dans le panthéon du krautrock de nos régions (pas très loin du Réveil des Tropiques en vérité). À la confluence du métal et du rock, la musique du trio ne rechigne pas à se lancer dans le maximalisme.
Difficile de croire que seulement trois personnes dans un studio puissent foutre autant de bordel. On se met à rêver d'un double concert avec les Norvégiens de Goat, seuls capables actuellement d’égaler la narration du groupe, ou avec Gojira, avec qui il partage un certain sens de l’épique et des préoccupations environnementales. On souhaite en tout cas à Slift le même succès à l'international qu'à la maison, ce qui semble bien parti avec cet Ilion grandiose et cosmique.