II
Moderat
Quand on sortait du premier Moderat il y a quatre ans, c’était un peu la grosse gueule de bois du quotidien qui reprenait le dessus après que le corps eut finalement cuvé toutes les drogues du weekend. En effet, en choisissant de s'amuser dans les terrains marécageux du dubstep pour sa première collaboration, la paire Modeselektor/Apparat n’a pas niaisé avec nos émotions en dégainant une plaque entre l'émo et le fiévreux, un disque à l'atmosphère toute poisseuse qui s’est vite hissé au rang de d'album de chevet. Autant de bonnes raisons pour cette belle bande de potes de rempiler. On prend les mêmes et en recommence? Presque.
Car II serait plutôt le genre de plaque à vouloir convoquer le soleil dans le club au petit matin alors que celui-ci suinte encore les vapeurs d’alcool de la nuit passée. Et ce n’est pas une déception que de reconnaître que ce nouvel album est moins consistant que son grand frère car, à quelques poussées de fièvre près, on a vite le sentiment que II se pose comme un gros album de pop électronique brumeuse où tout est à sa place et dans lequel aucun morceau ne veut prendre le pas sur ses camarades. A l’arrivée donc, pas étonnant de se trouver face à un tracklisting qui revendique une certaine homogénéité et un relief moins accidenté que son aîné. Mais certainement pas un côté moins labyrinthique.
Car II se plaît à brouiller les pistes. De fait, chaque titre s’apprécie comme autant de pièces d’un puzzle à l'amertume mal contenue. Loin de l’ascenseur émotionnel de son aîné, II charme plus par la cohérence qu’il insuffle à ses douze titres qui n’ont finalement en commun que le spectre de Burial, omniscient dans chaque sample et chaque beat maltraité par les machines du trio. Et au milieu de ce patchwork d’ambiances qui ne demande qu’à être domestiqué, rarement l'organe vocal de Sascha Ring semble avoir aussi bien convoqué les étoiles sur fond de beats UK Garage/R&B parfaitement exécutés par la paire Modeselektor qu'on a connu moins inspirée que ça il y a quelques années.
On sera honnêtes toutefois en disant qu’il est difficile de porter aux nues II sans avoir le sentiment de le survendre quelque peu. Pour autant, il y a quelque chose d’incroyablement solide et malin dans la suite de ce projet à six mains qui ne joue pas cartes sur table aux premières écoutes et qui surtout encaisse diablement bien le long terme. Car en définitive le trio teuton ne sacrifie rien ici: il apporte simplement une grille de lecture plus domestique et moins dansante à sa musique, au grand dam de certains, on s'en doute. Un album aussi touchant qu'amer, construisant une alternative pop sous tranxène à un aîné radicalement ravy.