If There's A Hell Below
Black Milk
Black Milk est épuisant. De productivité d'abord. De pertinence ensuite. Car parmi tout ce qu'il a pu sortir l'an dernier, il y a eu No Poison No Paradise. Et No Poison No Paradise, plus qu'un album parmi tant d'autres, c'est une véritable leçon de rap moderne dans la plus pure tradition de Détroit. Impeccablement construit, il était difficile de savoir où commençait le sample et où s'arrêtait la composition. Tout y était à sa place et chaque invité ajoutait judicieusement son grain de sel – les splendides interventions de Black Thought ou le Rhodes de Robert Glasper nous épargneront bien des dessins. Un carton tel qu'on ne pensait pas voir le emcee à nouveau transformer l'essai sur If There's A Hell Below, son septième LP solo. Pourtant, le disque se présente comme une nouvelle démonstration de force, à tel point qu'on se demande encore comment le reste du monde continue de pleurer le décès de J Dilla mais nie le talent d'un type qui, lui, est en passe d'accomplir ce que son parrain n'a pu achever de son vivant: devenir aussi bon MC que beatmaker.
Voilà déjà quelques albums que Curtis Cross empile les casquettes et les projets en autodidacte. C'est cette boulimie qui l'a naturellement conduit à concevoir la journée de 72 heures, mais aussi à se muter en producteur exécutif, comme s'il était le seul à savoir comment canaliser un flow bancal qui, au fil des projets, à su gagner en swing et en maturité. Il est donc peu étonnant de l'entendre ici s'essayer à d'autres sensibilités, de le voir entendre étendre sa zone géographique jusqu'au Texas, à New York et en Californie - coucou Bun B, Pete Rock et Blu tous venus poser quelques mesures racées. Cette ouverture, elle n'est pas sans conséquences sur la cohérence de If There's A Hell Below: elle consacre enfin Black Milk comme un véritable citoyen américain. Il n'est plus un simple natif de la Motor City peu désireux de s'affranchir de ses chapelles soul et électroniques. Et à ce titre, des titres comme "What It's Worth" ou "Gold Piece" s'offrent de savoureuses familiarités avec un autre autodidacte qu'on adore: cette canaille sudiste de Big K.R.I.T. Mais comme un album de Black Milk ne serait rien sans la famille, on y retrouve les usual suspects pour lui prêter main forte en studio. Ainsi, son frelon de toujours Ab et sa pouliche préférée Mel sont au rendez-vous, et plus surprenant cette fois, la paire Sean Price / Guilty Simpson est là elle aussi pour reformer le crew Random Axe le temps d'un titre. Une façon d'annoncer le retour aux affaires de l'un des super-groupes les plus sous-estimés du hip hop?
Soyons francs: on a encore un peu de mal à croire que Black Milk saura tenir la distance à pareille allure. Et s'il la tient, on a un peu peur que ce stakhanovisme maladif à la Madlib enfante des projets moins consistants. Alors tant que l'on arrive un peu à suivre, ne soyons pas avare en félicitations: s'il se montre moins direct et fluide que son aîné – et vu le niveau, difficile de s'en offusquer – If There's A Hell Below est bien le digne successeur de No Poison No Paradise. C'est une plaque qui s'inscrit dans la continuité, qui sent bon la spontanéité contagieuse, et qui encaisse surtout bien les écoutes répétées et le long-terme. Toute cette fraîcheur soulful et ce goût pour le groove qui mord la nuque s'y retrouve même cristallisé dans une inhabituelle variété, d'autant plus surprenante dans une discographie qui jusqu'alors avait su se montrer un rien trop respectueuse de la ville qu'elle illustre. Et ça, ça ne fait que présager du meilleur pour la suite.