Ice, Death, Planets, Lungs, Mushroom And Lava
King Gizzard And The Lizard Wizard
En 2017, King Gizzard & The Lizard Wizard plantait son drapeau sur la planète musique en ne sortant pas un, ni deux, mais cinq albums dans l’année. Des artistes productifs, il y en a un paquet, mais ce qui a propulsé le groupe de Melbourne dans la lumière, c’est la qualité de cette productivité. Sans vouloir faire offense aux artistes d’experimental noise, un disque de King Gizzard, c’est toujours au moins une dizaine de morceaux, d’au moins quatre ou cinq minutes, avec une construction relativement complexe, et une capacité de surprendre quasi permanente. Même si les rappels de thème orientés par une volonté de produire des albums-concept accélèrent un peu le processus, il n’empêche que pas mal de groupes tueraient pour pouvoir produire un Polygondwanaland une fois tous les cinq ans, quand King Gizzard en font cinq en un an.
Et comme l’année 2021 avait été relativement pauvre avec seulement deux albums – dont l’excellent Butterfly 3000 – les Australiens se sont dit que ce serait une bonne idée de sortir trois albums sur le seul mois d’octobre. Le premier de la triade s’intitule sobrement Ice, Death, Planets, Lungs, Mushroom and Lava et est une magnifiqur occasion de faire le point sur la manière dont le groupe tord l’idée d’album.
Si on devait résumer l’ambiance générale du disque, on pourrait dire que la formation emmenée par Stu Mckenzie a plié son style du côté d’un rock psyché relativement old school. En témoignent les solos de guitare à rallonge, une batterie en douceur rappelant celle utilisée pour Sketches of Brunswick, mais surtout l’utilisation plus fréquente et très marquée de la flûte traversière. Toute cette atmosphère est ballottée au gré des envies du groupe, parfois d’un côté plus fusion comme sur « Gliese 710 », parfois en jouant les hardeux comme sur la fin de l’excellentissime « Iron Lung », parfois en allant tapant dans un pop folk avec « Lava ».
Mais ce qui interroge vraiment sur Ice, Death, Planets, Lungs, Mushroom and Lava, c’est de savoir si le concept même d’album n’est pas un peu dévoyé pour en faire une boîte à jam session. On a toujours senti que King Gizzard, c’était une bande hyperactive, pas du tout prête à passer une année à peaufiner un disque pour en faire un diamant poli au nanomètre. C’était le cas quand la bande en sortait un par an, et c’est toujours le cas en 2022. Même un chef-d’œuvre comme Polygondwanaland est une trajectoire esthétique linéaire, dans laquelle les éléments se répondent et s’articulent autour d’un certain nombre de codes sonores, laissant l’impression que fondamentalement, le truc aurait pu être enregistré dans la semaine. Et c’est un peu le doute qu’on peut avoir à l’écoute de « Mycelium », qui ouvre le disque. Voilà le danger : pas de faire trop d’albums, car finalement, c’est un créneau comme un autre, mais de donner à son public le goût amer de morceaux aux idées bâclées. Surtout que le disque est annoncé comme étant conçu à partir de titres relativement improvisés, ce qui n’est pas historiquement la force de King Gizzard.
Sauf qu’à partir du single « Ice V », les choses s’emballent. Pas timides en concert, les Australiens parviennent à retranscrire l’intensité qui fait le socle de leur son. On retrouve alors plus d’une heure de musique bien construite, dont l’aspect « jam session » devient davantage une esthétique à part qu’un véritable frein à la production. On pense notamment à « Hell’s Itch », qu’on voit arriver avec sa longueur qui frôle le quart d'heure. Après plus de neuf minutes et trois solos de guitare, on pourrait penser qu’on a un peu fait le tour. Et là arrive un petit gimmick de guitare façon George Harrison pour donner un nouvel élan au titre et renforce sa profondeur mélodique en changeant sa suite d’accords.
C’est là que Ice, Death, Planets, Lungs, Mushroom and Lava fait fort : en n’essayant pas spécialement d’habiller les conditions de création du disque, il permet de profiter dans le produit final de la succession temporelle des étapes qui y ont mené. Comme si voir les coutures permettait de profiter plus encore du vêtement. Alors oui, le premier volet de la trilogie d’octobre 2022 n’est pas un album au sens où Beyoncé sort des albums ; c’est un disque qui suinte le rock par tous les pores, mais qui n’oublie jamais de réfléchir à cet aspect rock, soit par le pastiche et le mélange des genres, soit par la conception de ces morceaux, le tout dans une ambiance de fumée et de pierres fondues dont la magnifique pochette rend parfaitement compte. On n'aimerait pas être un groupe de rock à l’ère du King.