I LAY DOWN MY LIFE FOR YOU

JPEGMAFIA

AWAL Recordings – 2024
par Jeff, le 19 septembre 2024
8

Malgré les années qui passent et une discographie qui commence à épaissir, notre enthousiasme pour une nouvelle sortie de JPEGMAFIA n’a jamais faibli, tout simplement parce que l’artiste américain est l’un des esprits les plus féconds de sa génération, ce troll gentil dont a besoin dès qu’on commence à se plaindre de l’absence de prise de risque dans le rap américain – c’est-à-dire de plus en plus régulièrement. Chaque album est l’occasion pour le natif de Brooklyn de nous servir une proposition au moins aussi barrée et iconoclaste que la précédente, et de sortir l’album que de nombre de ses coreligionnaires n’ont pas ou plus le courage d’assumer.

Mais la force de JPEGMAFIA est aussi sa faiblesse : denses et imprévisibles, ses albums ont une replay value limitée, et il faut bien choisir son moment d’écoute pour éviter la crise d’angoisse. En ce sens, on le rapproche souvent de Death Grips, et on ne s’étonne pas vraiment qu’un des titres de ce nouvel album de Peggy fasse une référence explicite à la toute première mixtape de ces derniers, Exmilitary – même si, dans un twist taquin, le titre sample le « Tearz » du Wu-Tang Clan, dont il aurait pu être le ODB si il était né 20 ans plus tôt.

I LAY DOWN MY LIFE FOR YOU est déjà le cinquième album de JPEGMAFIA, mais c’est peut-être le premier de sa carrière qui a un tel goût de reviens-y. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on a attendu presque deux mois avant d’émettre un avis définitif sur un disque qui n’arrête pas de tourner sur la platine depuis sa sortie. Entendons-nous bien :rien ici n’est facile d’accès. D’ailleurs, le titre d’ouverture, « i scream this in the mirror before i interact with anyone », donne le ton : s’ouvrant sur une analogie pleine de réalisme à l’un des plus gros bolosses de la NBA, cette nouvelle reference à Death Grips vous attrape par la gorge avec la délicatesse d’un fonctionnaire zélé de la Brav-M. Et on peut en dire autant du reste d’un projet qui nous balance à la tronche ses innombrables références à la pop culture, ses samples épileptiques, ses riffs bas du front, et fait tout pour que le flow de JPEGMafia soit en permanence proche du surrégime. Un disque de JPEGMAFIA donc.

Sauf qu’à chaque fois où l’on pense qu’il va pousser le bouchon trop loin ou nous faire la blague de trop, il s’abstient et fait le choix de privilégier une structure plus convenue. C’est frappant sur « I’ll Be Right There » qui propose une relecture nouvelle d’un tube R&B des années 90. C’est carrément bluffant sur « New Black History », une collaboration avec Flume et Vince Staples, et l’occasion pour les trois hommes de proposer une version complètement mindfuckée de l'un des plus grands bangers de la carrière de Future.

S’il aime être proche de ses héros (ses productions sur le Vultures 1 de Kanye West), on doute que JPEGMAFIA ait pour ambition d’être invité chez Gunna ou Lil Baby, ou qu’il pense ses titres pour la playlist RapCaviar de Spotify. Pourtant, pour la première fois depuis qu’il a fait irruption dans nos vies avec la seule et unique ambition d’y foutre un bordel monstre, sa musique a des airs de plan de carrière, et ne semble plus être pensée que pour la seule satisfaction de son auteur. Et c’est peut-être parce qu’on a dû faire montre d’une grande patience que la sensation de plénitude que nous procure I LAY DOWN MY LIFE FOR YOU est si grande. Peut-être pas son disque le plus fou, mais certainement le plus abouti.

Le goût des autres :