I Can Hear your Heart

Aidan John Moffat

Chemikal Underground – 2008
par Splinter, le 23 juillet 2008
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Souvent les chroniqueurs se plaignent du manque d'originalité de tous ceux qui se prennent pour des artistes et sortent un album parce qu'aujourd'hui c'est devenu tellement facile, avec Internet, MySpace and co., sans réellement proposer de projet intéressant, ni sur le fond, ni sur la forme. Certes, on a toujours Radiohead, Elbow, Coldplay, qui, à titre personnel, me donnent encore du plaisir à claquer de l'argent pour de la musique inventive et audacieuse, tout en restant dans un format pop, mais ce sont des machines de guerre qui disposent de moyens financiers considérables, dans des proportions incomparables avec le petit chanteur qui, dans son coin, au fin fond de son Texas ou de son Angleterre natale, n'a qu'une guitare et un quatre-pistes pour enregistrer ses chansons. Alors, sans moyens, point de salut ? Heureusement que non.

Mais pour une fois que quelqu'un débarque avec une vraie vision, une véritable œuvre, un vrai propos, il faut - malheureusement ? - que ce soit une œuvre radicale, sans concession et, à proprement parler, clairement pas à mettre à la disposition de tout le monde. Car l'Ecossais Aidan John Moffat, autrefois membre d'Arab Strap, n'est ni plus ni moins qu'un musicien couillu, qui a décidé de sortir un album solo, semi-autobiographique, dont l'objet consiste à décrire le mâle moderne et son obsession principale, selon lui : le sexe. Mais attention, pas la petite amourette bien propre et plastifiée. Non, le sexe qui colle, qui tache, qui pue, le sexe bien glauque, le sexe obtenu par des mensonges et des stratagèmes hideux. Pour une fois, donc, le message d'avertissement mentionné sur la pochette, qui réserve le disque aux seuls adultes, est pertinent et bienvenu.

I Can Hear Your Heart annonce d'ailleurs la couleur dès la pochette, illustrée du dessin d'un couple nu, à deux doigts d'entamer un bon vieux 69, et dès le livret de ce projet musical poétique divisé en deux parties. La première, intitulée "Poop" ("caca" en anglais) est un texte à lire d'abord, c'est-à-dire avant d'écouter le disque, qu'il faudra d'ailleurs entamer avec la deuxième piste (la première étant constituée des instructions de Moffat). Le texte en prose relate l'histoire complètement floue d'un plan cul bizarre entre Moffat, une amie ("that's another friendship fucked now") et une nana imaginaire. L'ambiance est posée.

La seconde partie, musicale cette fois, intitulée "Loop", est composée de la bagatelle de 23 morceaux aux titres aussi évocateurs que "Cunts", "Super Sexxxy Real Live!", "Fuck It" ou encore "Double Justice" (!), aux textes franchement explicites, à écouter de préférence, selon l'auteur, au lit, avec des écouteurs et une bonne gueule de bois… Musicalement, on est plus proche de Gainsbourg que du dernier Electric Six, lui-même largement centré sur le cul mais avec une bonne dose d'humour : chant parlé avec un accent écossais à couper au couteau, easy listening, patchwork de jolis arrangements de cordes très cinématographiques, bruitages explicites (cf. les gémissements sur "Fuck It"… et cette musique d'ascenseur tordante)…

Véritable objet musical non identifié, ce long poème musical, déstabilisant, déroutant et passablement glauque, vaut au moins le coup d'oreille. De là à dire que c'est un disque qui s'écoute en boucle… Au final, comment noter cette œuvre, certes audacieuse, mais sinistre et déprimante, qui ne déploie strictement aucun effort pour se faire aimer ? Mission impossible.

Le goût des autres :
7 Julien