I Am A Bird Now
Antony & The Johnsons
Difficile d’interpréter le choix d’Antony pour la pochette de son second album, une photo de Candy Darling, égérie d’Andy Warhol, peu de temps avant sa mort en 1974. Un peu de blanc. Beaucoup de noir. Et la mort qui passe. Forcément symbolique de la part de ce personnage inclassable, âme féminine trop à l’étroit dans sa carcasse masculine, diva queer en quête perpétuelle d’équilibre, ce cliché donne le ton d’un disque fortement mélancolique, oscillant entre soul funèbre et pop d’opéra.
Basé autour d’un piano sobre, "I Am A Bird Now" est l’œuvre d’un artiste à la sensibilité rare et à la fragilité criante, une œuvre parcourue de part et d’autre par une solitude étouffante, à peine confortée par la présence de nombreux artistes amis venus épauler celui qui avait fait sensation dans le milieu en 2001 avec un premier album éponyme injustement ignoré. Cette première déconvenue n’a pourtant pas freiné l’enthousiasme du label Secretly Canadian, conforté par l’enthousiasme de fans de la première heure comme Lou Reed qui a d’ailleurs invité Antony à reprendre son cultissime Perfect Day sur "The Raven".
Contrairement à ce que la liste prestigieuse d’invités pourrait laisser croire, ce disque est avant tout l’œuvre d’une seule personnalité et repose quasi entièrement sur la voix de cet oiseau brisé qu’est Antony. Bien sûr, Rufus Wainwright prend le lead le temps d’un court What Can I Do ? (les deux artistes avaient déjà chanté ensemble sur le "Want Two" du canadien), Boy George chante en duo sur le troublant You Are My Sister, Devendra Banhart, Cocorosie et Lou Reed font tous une apparition, mais pas un ne parvient à voler la vedette à cette étrange créature à la voix hybride, à mi-chemin entre une cantatrice d’opéra et un black chanteur de soul. Incapable de choisir entre son corps et son esprit, l’artiste torture ses textes et arrondit ses mélodies, gravant merveille sur merveille.
Jusque dans son usage des mots, Antony chercher à brouiller les pistes, transformant les genres, remplaçant 'boy' par 'bouy' et 'girl' par 'gerhl', en quête d’une liberté sociale qui semble lui échapper. Et il a beau répéter inlassablement Free At Last sur l’avant-dernier morceau, on le sent bien loin de pouvoir se détacher de sa condition, si ce n’est le temps d’une escapade musicale de quelques minutes. Un voyage étrange et envoûtant.