I
Musique Infinie
Depuis la fin des années 1990 et la grande vague de l’IDM, on a assisté à un retour en force du bouclier anti-corporel. Surtout pas de plaisir physique, surtout pas de danse, et des premiers émois d’Autechre jusqu’aux actualités de la mentalwave, c’est tout un pan des musiques électroniques qui a prêté serment sur l’autel d’une version très spirituelle du boom-tchak. Ce qu’il y a de fascinant dans la musique de Noémi Büchi, au contraire, c’est cette capacité à re-physicaliser les breaks, les nappes et toute la panoplie du petit producteur ou de la petite productrice d’ambient, pour en faire de véritables objets concrets. Loin de ne marquer que les esprits, sa musique s’en trouve alors vivante, spasmodique.
Une bourrasque. Voilà par quoi commence ce disque de Musique Infinie, le duo que Noémi Büchi compose avec Manuel Oberholzer, aka Feldermelder. Plongé au milieu d’une tempête, de la même manière qu’on assistait à un big bang symphonique dans « Elemental Fear » l’an dernier, on comprend rapidement que dans l’univers à la sauce Musique Infinie, les minuscules réactions atomiques ont la violence de plusieurs galaxies qui se percutent. Cette narration musicale n’a rien d’étonnant, et c’est quelque chose qu’on retrouvait déjà plus tôt dans l’année chez Manuel Oberholzer, dans son album collaboratif avec Sara Oswald. L’écoute est complexe, mais l’effet est simple : par des progressions régulières, intégrant énormément de variables sonores, Musique Infinie semble traverser l’espace et le temps avec une force immense. Et malgré cette force, tous ces motifs de boucle, de breaks très rapides, permettent à I de rester un disque proche de la techno. « Voices Nobody Hears » pourrait complètement intégrer un set de Deena Abdelwahed, et on ne serait pas contre un EP de remixes de « Broken Mind Circuit ».
Cette polyvalence, c’est celle d’une musique totale, qui navigue avec une facilité déconcertante entre une multitude de genres et d’influences. Des musiques traditionnelles avec les sonorités de « Broken Mind Circuit » justement, de la techno bien sûr, de la symphonie post-Mahler comme tout ce que touche Noémi Büchi, mais aussi de la musique pour le cinéma, et tant d’autres clins d’œil qui nous pousseraient à refuser le simple terme d’ambient pour un disque comme celui-ci. Au-delà même des influences, l’appel de la totalité, c’est un propos qu’on retrouve dans le parcours de Manuel Oberholzer, musicien, producteur, mais aussi co-fondateur du label -OUS sur lequel sort l'album, et qui propose assez fréquemment des installations audiovisuelles pour ses créations.
On a du mal à dire autre chose que ceci : on ressort de ce disque dans un état de stupéfaction. Entre l’expérience sensorielle totale, la plongée dans l’infinité de ce que la musique peut faire dans son sens très large, la facilité qu’on a à y reconnaître des choses connues, et une atmosphère qui reste celle d’un club, on est simplement, et au meilleur sens possible, perdus. Que signifie ce I qui titre le disque ? Une façon simple de confondre une lettre, un chiffre et un symbole, une porte d’entrée littérale sur l’archéologie de l’esprit humain qu’il permet ? On espère surtout que c’est plus simple que cela, auquel cas, s’il y a un I, c’est qu’il y aura un II.