Hyperdub 10.3
Various Artists
Le sixième chapitre du Livre d’Esdras nous apprend que les Juifs « offrirent, pour sa dédicace, cent taureaux, deux cents béliers, quatre cents agneaux, et comme victimes expiatoires pour tout Israël, douze boucs, d’après le nombre de tribus d’Israël ». Y’a pas à dire, à l’époque on savait célébrer. Hyperdub, de son côté, fête son dixième anniversaire en envoyant des compilations par camions. C’est forcément moins mystique, drôlement moins badass mais ça semble fonctionner, et surtout ça témoigne de la machine à vendre qu’est devenue la structure de Kode9. Avec une première offrande calée sur des lignes footwork, grime et post-dubstep (excellente d’ailleurs, suivez le guide) et une deuxième axée r’n’b, voici que débarque aujourd’hui Hyperdub 10.3. Cette fois, il s’agira de rêver sur le contenu ambient du label.
Si la compilation-anniversaire des cinq ans tapait dans le post-dubstep au sens strict (mais déjà tellement large), on se doit de souligner à quel point le label a su exploiter de nouvelles lignes durant ce deuxième cap, allant jusqu’à synthétiser son travail sur les musiques de nappes - on annonce d’ailleurs que le quinzième anniversaire verra une sélection 100% grindcore/crust/post-metal dans les bacs. Mais à bien regarder la tracklist, on se rend surtout bien compte que le passé ambient d’Hyperdub n’est pas ce qui a pu le rendre célèbre. Puisqu’il faut bien remplir un disque, Hyperdub 10.3 ressort des interludes de LP’s sortis il y a plus ou moins longtemps (Burial, Laurel Halo, Kode9, Darkstar), va piquer dans des faces B de 12’’ oubliés, donne la parole aux usual suspects sur des inédits (The Bug, Ikonika, Cooly G, DVA) et va surtout débaucher des mecs cool pour donner de la couleur et encore un peu plus de street cred au bazar (Lee Gamble, Fatima Al Qadiri).
A partir de là, deux choses doivent être dites : premièrement les titres sont extrêmement courts - douze titres sur vingt-trois font moins de deux minutes trente - et, deuxièmement, on est clairement dans de l’ambient pop-corn pour bouffeurs de hype. Vingt-trois titres donc, c’est long, mais cela signifie surtout que les titres s’enchaînent comme dans un disque de Flying Lotus (imagine l’indigestion potentielle) : à coup de vignettes plus ou moins longues. C’est d’ailleurs comme cela qu’il se perçoit, comme des ponts entre les rues d’une cité aquatique, qui lance des idées, qui elles-mêmes retombent sur d’autres, entre bordel et cohérence forcée. C’est extrêmement lisible d’ailleurs, sûrement parce que la rigueur des compositions tient souvent davantage du bubble-gum synthétique que du drone tonal (à part Borys en fin de disque). Et c’est un bien d’ailleurs, puisque le ton se veut à la fois coloré tout en conservant une noirceur toute street (et toute relative). Entre cosmos et odeur de pisse, comme tout ce qu’ils ont pu nous sortir depuis dix ans. A bien y regarder, ça marche plutôt pas mal, à plein de moments (le « City of God » de Walton, le « Shanxi » de la Fatima, le titres de Lee Gamble '§ King Midas Sound ou encore le très long « Liloo’s Seduction » de Fhloston Paradigm), et ça confirme que le risque fait définitivement partie de l’ADN du crew de Kode9. Même si ça n’égalera jamais vraiment cent taureaux sur la place publique.