Hyperbolic Time Chamber Rap vol. 1 - 4
Tha God Fahim & Nicholas Craven
Parce que le rap est un courant qui est né dans ces recoins de la planète où l’on attend toujours le réparateur de l’ascenseur social, le mouvement a toujours eu pour principal carburant cette formidable envie d’exister bien au-delà d’une barre d’immeuble, d’un quartier ou d’une ville. On ne sait pas grand-chose de Tha God Fahim, mais il faut croire qu’il n’a pas lu « le rap pour nuls », ou qu’il s’accommode fort bien de cette discrétion dans laquelle il a choisi d’évoluer.
Esthétiquement proche des sons que crachent les nouvelles places fortes du boom bap que sont New York et Buffalo, le natif d’Atlanta a rapidement abandonné l’idée d’une carrière qui s’organiserait dans une succession d’albums pensés pour créer un continuum permettant de structurer facilement une opinion critique. Dévoré par sa créativité, grisé par son talent, Tha God Fahim charbonne sans se soucier du calendrier ou de notre incapacité à se raccrocher à la locomotive - dans un article paru en 2018 sur Bandcamp, on parlait déjà de lui comme de « The 70-Tape Legend », alors faite le calcul. Cette détermination aveugle est autant une source de frustration qu’une voie royale vers ce « cult status » qu’il partage avec un très bon pote à lui, et dont il est un des plus proches collaborateurs : l’énigmatique Mach-Hommy.
Mais si le MC d’origine haïtienne doit une partie de sa légende à sa stratégie commerciale absolument improbable (peu de copies physiques, toujours à des prix ahurissants), Tha God Fahim va encore plus loin dans l’absurde en ne permettant même pas le streaming de certaines de ses sorties sur les habituelles plateformes. Alors autant dire qu’à moins d’avoir un pote qui passe sa vie sur Reddit ou l’Insta du bonhomme, vous avez de fortes chances de découvrir son travail avec des semaines, des mois, voire des années de retard. Et la série Hyperbolic Time Chamber Rap entamée en décembre dernier, et intégralement produite par le Canadien Nicholas Craven, est probablement destinée à subir ce triste sort.
Hypercolic Time Chamber Rap, un titre un peu obscur donc pour un boom bap très classique à première vue, mais qui se révèle être d’une qualité exceptionnelle à la réécoute. Et cela est d’abord dû aux boucles du producteur montréalais Nicholas Craven, qui sont avant tout pensées pour permettre à des MC’s au placement impeccable de donner leur pleine mesure – d’ailleurs, régulièrement sur ces quatre EP’s on se prend à imaginer un Akhenaton période Métèque et Mat réduire la concurrence en charpie. Ceci dit, on se gardera bien de comparer Tha God Fahim à un rappeur aussi technique que le Marseillais. S’il n’est pas en reste de ce côté-là, c’est surtout la musicalité de son flow délicieusement traînant qui accapare notre attention – et celle-ci est d’autant plus sollicitée que Tha God Fahim est du genre gourmand au micro, ne laissant généralement de la place que pour ses divas soul oubliées que Nicholas Craven aime tant sampler.
Disciple de la Scred Connexion dans sa façon de n’être « jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction », Tha God Fahim a su façonner une œuvre monumentale et insondable, qui ne touchera probablement jamais qu’un public totalement niche – alors que sa musique ne l’est absolument pas. Les 4 EP’s de la série Hyperbolic Time Chamber Rap entamée en décembre et déjà relancée en ce début d’année sont donc autant une porte d’entrée idéale dans son univers (et celui de Nicholas Craven) qu’une énième preuve de la formidable vitalité d’une scène « revivaliste » qui refuse de jouer les gardiens du temple, mais préfère en ouvrir les portes à toute une génération de rappeurs et de beatmakers.