How To Replace It
dEUS
Vu la fraîcheur de l’accueil réservé à Keep You Close en 2011 puis Following Sea l’année suivante, on pensait que dEUS avait compris le message : désormais, il aurait tout intérêt à capitaliser sur son back catalogue plutôt que de nous infliger des albums au contenu plus douteux qu’un disque dur de R. Kelly. Et ces dix dernières années, le groupe anversois s’y est astreint avec une discipline remarquable, tout le monde semblant y trouver son compte – les neuf AB sold out pour le voir interpréter intégralement The Ideal Crash servant à valider définitivement cette théorie.
Mais il faut croire que Tom Barman a commencé à trouver le temps long, ou que sa moitié en a eu marre de le voir traîner toute la journée dans son plus beau pyjama Dries Van Noten. Alors plutôt que de jeter ses économies dans une grosse cylindrée ou une affaire extra-conjugale, il a préféré demander à [PIAS] de libérer les fonds nécessaires à la réalisation d’un nouvel album, le huitième d’une carrière entamée il y a plus de 30 ans. Rien que la fin de cette phrase pourrait résonner comme une excuse potentielle pour un groupe qui ne peut pas faire grand-chose contre le temps qui passe. Mais on ne pensait pas que dEUS, qui s’est construit par une forme de défiance vis-à-vis de l’espace-temps, puisse un jour incarner ce que la déconnexion par rapport à son époque représente de plus fastidieux.
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, Tom Barman est un pur prédateur. Mais le pire, c’est que ses proies sont les idiots utiles qui lui servent de faire-valoir à longueur de discographie. Pour rappel, on parle d’une formation par laquelle ont transité certains des esprits les plus brillants de l’indie noir-jaune-rouge, de Tim Vanhamel à Rudy Trouvé en passant par Stef Kamil Carlens, et qui aujourd’hui semble se résumer à la seule expression de son cerveau auto-proclamé. Quant à ceux qui sont restés, leur rôle est purement décoratif. Prenez le violoniste Klaas Janzoons : un temps dépositaire du « son dEUS », on en vient aujourd’hui à se demander si son instrument n’est pas relié à un ampli que l’on ne branche que quand il faut jouer « Roses » et « Suds & Soda » en concert. Bref, si Tom Barman avait des airs de despote éclairé du temps de The Ideal Crash ou In A Bar Under The Sea, il donne l'impression de régner sans partage depuis Pocket Revolution en 2005.
Vous imaginez bien qu’avant de sortir la sulfateuse, nous avons pris le soin de multiplier les écoutes afin de ne pas tirer aveuglément sur l’ambulance. Et forcément, en y mettant un peu de cœur, on finit par trouver quelques qualités au disque. La bonne nouvelle, c’est que celles-ci se trouvent pour la plupart dans sa première moitié. Ainsi, le titre d’ouverture, malgré ses airs de pari un peu fou consistant à mettre dans un seul et même morceau tous les instruments qui devaient traîner ce jour-là dans le studio, rappelle que quand tout le monde a voix au chapitre, ce songwriting aux couches multiples peut faire des merveilles. On peut aussi voir dans la doublette « Must Have Been New » / « Man of the House » une tentative plutôt réussie de faire le lien avec les exploits mélodiques de The Ideal Crash. Quant à « 1989 », si l’on met de côté la mauvaise imitation de Leonard Cohen, le titre est la preuve que quand l’ego de Tom Barman n’occupe pas tout le terrain de jeu, dEUS reste un formation parmi les plus classieuses du plat pays.
Mais multiplier les écoutes, c’est aussi se confronter à la vanité et la vacuité abyssales de certaines compositions qui sont de jolies coquilles vides que l’on a envie d’écraser. En réalité, à partir de « Faux Bamboo », cinquième titre d’un disque qui en compte douze, dEUS nous entraîne sur une piste aussi savonneuse qu’ennuyeuse, dont on ne retient absolument rien – apprêtez-vous à passer de longues minutes à vous demandez ce que vous foutez là, et ce que vous allez écouter pour oublier ce mauvais moment. Mais pire encore, quand le groupe attire à nouveau notre attention, c’est pour se fendre de ce qui est probablement le pire morceau de sa carrière : les 396 secondes de « Blues Polaire » en semblent dix fois plus, la faute à un spoken word poussif dans son interprétation, pauvrissime dans ses textes, et qui ferait passer n’importe quel titre de Grand Corps Malade pour du Lomepal.
Vous avez probablement tous connu cette scène dans votre enfance : à la suite d’une énième connerie, le dépositaire de l’autorité familiale vous prenait entre quatre yeux. Et c’est à ce moment qu’il vous sortait cette phrase marquante, sorte de mic drop de la parentalité : « Je ne suis pas fâché, je suis déçu ». C’est précisément ce sentiment qui nous anime à l’écoute d’un disque sans saveur, produit par un groupe qui a su par le passé être sexy et dangereux, et qui produit aujourd’hui des albums aussi transgressifs qu’un missionnaire. Not so ideal crash.