House In The Tall Grass

Kikagaku Moyo

Guruguru Brain – 2016
par Pierre, le 20 juillet 2016
7

Pour nous, fiers occidentaux dont l’esprit est rapidement limité par cette espèce de carcan culturel bâti jour après jour par nos sociétés, le Japon n’est autre qu’une terre de fantasmes. Un pays un peu loufoque où les émissions télé mettent en scène de savants concours de pipes ou de branlette et où il est de bon ton de se fringuer comme Yu-Gi-Oh… Sauf qu’une fois les sushis, Naruto, Fukushima et tous nos préjugés évoqués, nous voilà rapidement confrontés à notre ignorance quasi-abyssale de la culture japonaise. Niveau musique, on atteint carrément le vide intersidéral. Heureusement pour nous, Kikagaku Moyo n’en a franchement pas grand chose à foutre et pointe donc innocemment le bout de son nez pour nous rappeler que le psychédélisme n’est pas propre aux jeunes occidentaux en quête de paradis artificiels.

Et pourtant l’affaire n’était pas gagnée d’avance. Premièrement, difficile de vanter les mérites d’un groupe dont le nom et certains titres sont plus compliqués à mémoriser que la définition de la France dans le dico - on prend le pari que vous n’arriverez pas à vous en souvenir trente minutes après avoir lu ce papier. Outre ces considérations sémantiques frôlant le racisme, il est également vrai que Kikagaku Moyo s’éloigne de la mouvance psychédélique actuelle tant cette formation explore une niche lysergique quelque peu délaissée ces derniers temps : le folk psyché.

De ce fait, la musique encapsulée dans ce troisième album vit hors du temps, libérée de tout conformisme contemporain au renouveau psychédélique. Car à l’heure où bon nombre de groupes (qu'on ne citera pas) s’émancipent en effet au sein d’un rock acide pasteurisé où la volonté d’une musique planante et éthérée prend le pas sur l’originalité et la singularité, Kikagaku Moyo nous offre une ballade poétique d’une douceur presque absolue pendant laquelle la musique redevient enfin une affaire d’esthètes.

Mais ce House In The Tall Grass n’est pas qu'apaisement et s’autorise donc par-ci, par là quelques salves électriques plus intenses dynamisant l’écoute de l’album sans pour autant ombrager la structure onirique de celui-ci. Puis finalement, survient cette évidence : le maître-mot de cet album, le leitmotiv véritable n’est autre que le groove. Car chaque titre, qu’il soit doux comme un agneau ou plus expérimental et saturé n’est articulé qu’autour du groove et le suinte par chacun de ses pores. 

Tout l’album n’est alors qu’une jolie succession de chansons à tiroirs marquées par une louable recherche de raffinement et d’élégance qui confère au produit fini une dimension quasiment cléricale, mystique. Pour cela, House In The Tall Grass est un plaisir égoïste et solitaire qui ne peut s’apprécier totalement qu’en faisant fi de tout contact humain au cours de son écoute : bref, un album romantique et méditatif à savourer un jour de pluie. Alors, vous l’aurez compris, si cet album et Kikagaku Moyo ne changeront sans doute pas votre vie, peut-être auront-ils au moins le mérite d’occuper un de vos moments en solitaire autrement qu’un Kleenex en main.