Honey
Robyn
La dernière fois que Robyn s'est épanchée sur la longueur d'un album, c'était avec Body Talk, il y a huit ans. Huit années au cours desquelles, au lieu de céder aux appels du pied des fans et d'une industrie qui devait voir en elle une sacrée vache à traire, la Suédoise a très intelligemment joué avec ceux-ci: loin d'avoir disparu de la circulation, Robyn a même enchaîné les projets et les collaborations à un rythme assez frénétique pour quelqu'un que l'on dit discret - on l'a croisée en compagnie de Todd Rundgren, Royksopp, Mr. Tophat, Neneh Cherry ou encore Metronomy. En même temps, faut-il rappeler que Body Talk s'ouvrait sur un titre intitulé "Don't Fucking Tell Me What To Do", qui a vraiment pris avec le temps des airs de mission statement pour celle qui est devenue l'une des figures les plus emblématiques et vénérées de la pop music.
Un statut qu'elle ne risque d'ailleurs pas de perdre avec la sortie de Honey, le huitième album d'une carrière pour rappel entamée sur une collaboration avec Max Martin, son compatriote qui allait marquer la culture populaire de son empreinte à tout jamais. Une rencontre finalement très symbolique, les deux Suédois incarnant aujourd'hui deux facettes d'une pop qui ont tout l'espace nécessaire pour cohabiter, mais qui ne défendent pas vraiment les mêmes valeurs, avec d'un côté un Max Martin qui a 'industrialisé' sa recette pour créer de toutes pièces les carrières de Britney Spears ou Katy Perry, et de l'autre une Robyn qui a toujours mis un point d'honneur à proposer quelque chose de très accessible certes, mais d'une finesse et d'une profondeur sans communes mesures.
Et pour le coup, jamais la Robyn de 2018 (et ses producteurs, principalement Klas Åhlund et Joseph Mount de Metronomy) ne semble avoir volé aussi haut, travaillé avec autant de fidélité à sa ligne de conduite. Pourtant, Robyn pose les bases de sa vision dès les premiers mots prononcés sur "Honey": "No, you’re not going to get what you need" l'entend-on dire. Forcément, l'envie de la voir pondre à l'infini des hymnes cathartiques façon "Dancing On My Own" ou "Hang With Me" est compréhensible, mais elle l'est autant que cette volonté qui l'anime de se réinventer, de repousser ses propres limites, et de produire un disque qui lui ressemble tout en renvoyant à ses chères études la concurrence.
Alors Honey sera un album de rupture, au sens propre comme au sens figuré. Car en plus de ne ressembler à rien d'autre de sa discographie, son ambiance générale et ses textes renvoient souvent à cet état si particulier dans lequel on peut se retrouver quand on se fait lourder, partagé entre la tristesse d'avoir vu se briser des liens qu'on croyait indestructibles, et la perspective d'enfin apercevoir une faible lueur au bout du tunnel. En gros, si tu t'es toujours demandé ce que ça voulait dire de "se sentir comme une bamba triste", et bien maintenant tu sais.
Alors oui, on pourrait essayer de vous raconter l'album à travers ses coups d'éclats (la progression mélodique de "Missing U", le clin d'oeil plein de malice au "French Kiss" de Lil Louis sur "Send To Robyn Immediately", l'hommage discret à Crystal Waters sur le refrain de "Between The Lines" ou l'impression tenace que "Ever Again" soit le meilleur titre de Metronomy depuis "The Bay") mais le fait est que Honey a pris le parti de ne pas fonctionner de la sorte, mais bien d'être vendu dans sa globalité. On peut imaginer que Robyn a toujours voulu fonctionner ainsi, mais jamais cette volonté n'a semblé aussi indestructible. Si ce disque est sa manière à elle de nous dire que les histoires d'amour finissent mal en général, il est aussi et surtout l'affirmation d'un talent fou, et d'un potentiel qu'on a eu bien tort de croire totalement concrétisé. Don't fucking tell her what to do, qu'on vous dit.