Honestly, Nevermind
Drake
À moins d’être son comptable ou son agent immobilier, suivre la carrière de Drake ces dernières années ne s'est pas vraiment apparenté à un grand huit émotionnel. Depuis Views, le superstar canadienne s'attèle à suivre religieusement les tendances alors qu’on aurait pu penser à l’époque de Take Care qu’il allait s’appliquer à les façonner. Désormais faiseur de playlists et créateur de challenges TikTok avant d’être MC, Drake incarne le rap nord-américain dans tout ce qu’il peut avoir de plus convenu et chiant. Tandis que son mentor Lil Wayne parvenait à combiner succès critique et commercial pour se hisser au rang de « best rapper alive » dans les années 2010, Drake semble aujourd’hui surtout préoccupé par son statut de « best streamer alive », et ne recule devant aucune compromission pour conserver son titre.
Enfin, tout ça c’était avant Honestly, Nevermind, septième album studio à l'artwork digne des meilleurs Yung Lean, sorti sans le moindre effet d’annonce vendredi dernier, et tentative évidente du Canadien de se reconnecter avec cette communauté du cool qui a vu en lui le génie du début des années 2010 qui a redonné ses lettres de noblesse à un R&B alors tombé en désuétude. Pour arriver à ses fins, Drake quitte l’espace VIP d’un strip club dont les enceintes crachent une trap sans saveur pour rejoindre un autre espace VIP, mais d’un club à Ibiza cette fois. Fini donc la trap pour les algorithmes, et bonjour les productions house, confiées à des gens dont c’est la spécialité – Gordo, &me, Black Coffee.
Le vrai souci de ce genre musical, c’est qu'il joue souvent les équilibristes entre hédonisme élégant et vacuité instagrammable, et Honestly, Nevermind verse en permanence dans ces deux catégories. Varié, le disque l’est assurément, évitant le piège du kick à 120 BPM qui ne s’arrête jamais. Et si certains titres sont de vrais bijoux dont les versions instrumentales trouveraient aisément leur place dans la clé USB de DJ Koze comme dans celle de l’insupportable Claptone (« Falling Back », « A Keeper »), d’autres sont parfaitement interchangeables et entrent alors en résonance avec cette pique de Charlamagne Tha God sur la musique d'ascenseur. Sauf qu'il y a Drake, et qu’un artiste de son calibre a l’obligation morale de porter ce projet à bout de bras, ce qu’il ne fait pas tout le temps – en tout cas, il n’en donne pas l’impression quand on voit son placement pour le moins approximatif sur « Texts Go Green ». Ceci étant dit, quand le certified lover boy laisse respirer la production, et accepte de se placer un peu en retrait (ce qui ne doit pas être simple pour lui), la magie opère instantanément – irrésistible enchaînement « Sticky » / « Massive ».
Le virage ici opéré par Drake est tel que même après une semaine et de multiples écoutes, il reste difficile de porter un regard précis et définitif au sujet d’un disque qui nous prend de la sorte par surprise. Et si on peut déjà dire qu’il n’est pas le chef d’œuvre house que certains sachants essaient de nous vendre sur Twitter ou Facebook, on peut aussi affirmer que Drake ne se perd pas dans ce qui ressemble quand même à une zone d’incomfort pour lui. Car Honestly, Nevermind ressemble à une sérieuse leçon d’humilité pour un artiste qui prend peut-être la chose trop au sérieux, ou avec trop de déférence – en réalité, on aurait aimé qu’il se lâche comme Diddy a pu le faire en son temps au contact de DJ Hell. Mais aussi imparfait puisse-t-il être, ce septième album est la preuve qu’on peut encore croire en la capacité de Drake à être autre chose que sa propre caricature, et c’est rassurant.