Hometown Girl
U.e.
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Certains disques sont tellement immédiats qu’on pourrait se demander ce qu’une longue chronique peut encore amener sur la table. C’est probablement le cas du retour de Ulla Straus. Cette fois sur U.e., l’Américaine produit une musique de chambre naturaliste pour les dimanches qui chantent à l’envers. On pourrait tout à fait s’arrêter là et vous laisser écrire le reste de ce papier dans votre tête. Hometown Girl se raconte comme un disque de folk, d’ambient ou de musique électro-acoustique populaire. Tout est joué de manière spontanée, faussement improvisée, capturé sur le mode de la captation brute. Une musicienne dans sa chambre, dont on entend de loin quelques paroles fredonnées de manière aléatoire, une guitare dont les cordes frottent avec énormément d’insistance, une sorte de field recording dont le matériau de base serait la vie elle-même. Il y a dans ce disque une mécanique si simple qu’elle en devient extrêmement complexe : le placement des micros qu’on pourrait penser aléatoire devient tout un programme, tout est soit trop proche soit trop lointain, tout colle à la personnalité de son auteur.
On y entendra du traitement électronique abstrait et introspectif, puis cela se catapulte immédiatement dans une ballade folk entre le petit-déjeuner et la douche avant de capter des échanges musicaux écrits à la va-vite sur un coin de post-it. Il y a un équilibre dans le déséquilibre ici, dans le jaillissement spontané des émotions pures. Tout est impalpable, indéfini. Ressort de toute cette expérience une profondeur des émotions impossible à éviter, qui se raconte avec une aisance déconcertante. C’est un bordel de vie à cœur ouvert, qui emprunte autant aux instruments à vent qu’au traitement électronique pour se fixer comme il peut. Il est aussi génial qu’indécis, il propose et c’est à nous de disposer. Mais qu’on se rassure, il y a ici suffisamment de matière et de qualité pour considérer l’expérience comme quelque chose de vivifiant, d’intensément vivant. Cette musique devient très rapidement la nôtre, fort de notre incapacité à vivre toujours comme on le voudrait.
Hometown Girl c’est cette bande-son d’un monde qui a changé, et dans lequel on peine parfois à trouver notre place. Il est un ilot de résistance créatrice qui nous réconforte dans le bordel de notre tête. Une expérience extrêmement intime qui relève presque du voyeurisme. En ouvrant les portes de son nouvel alias – sur 28912, son nouveau label ? – Ulla nous ferait presque croire que tout va bien se passer, que ce n’est pas si grave d’être à ce point en décalage avec le reste de la marche du monde. Elle nous raconte que l’univers tient au maximum dans une chambre où quelques instruments jonchent le sol, où un micro de mauvaise qualité attend sur un pied qui a pris la poussière et où un laptop avec des autocollants de groupes qui ne marchent pas collés dessus attend que des boucles sonores soient retravaillées jusqu’à ne plus rien dire de connu. Il est une tentative incroyablement forte de renouer avec la simplicité. Qui n’a rien de simpliste. Un disque magnifique qui vient se placer entre le meilleur de Laurel Halo, Grouper, Pablo’s Eye et Yves Tumor. Un disque vital, vous l’aurez compris.