Hive Mind
The Internet
Il y a toujours une étincelle qui met le feu aux poudres. Dans mon cas, il s’agit de Steve Lacy. Alors que je ne le considérais pas avec grande concentration durant les premières heures de The Internet, dès que le bassiste s’est plié seul en studio sur sa guitare et son iPhone, j’ai signé des deux mains. On a parié sur son EP, puis le jeune talent est venu enflammer le dernier album de Kendrick Lamar, Tyler the Creator, et bien d’autres.
Pour moi, The Internet, c’était ce genre de groupe à suivre de loin, plutôt ennuyeux et dont la recette repose principalement dans ses inspirations ou ses restes de cette autre équipe très talentueuse, Odd Future. Les piliers évidemment, une cible à atteindre – sans fin. Ce n’était pas une si mauvaise nouvelle de voir leurs membres fuir progressivement vers d’autres projets qui, avec des nouvelles expériences et maturités, allaient venir nourrir dans son cœur Hive Mind. Reculer, pour prendre plus d’élan.
Les places du collectif se sont ainsi redéfinies, comme leurs pattes individuelles: le très jeune Steve Lacy est devenu gourou, fier de lutter sans crainte aux côtés de Matt et Syd dont la voix et les tripes ont pris du poids, de la force, de la ténacité. The Internet, c’est du sérieux maintenant, au point d’être le premier résultat d’une recherche Google – réduite pendant longtemps à la même issue qu’un dialogue de miroirs.
On peut déjà dire que l’ensemble de l’album, 13 titres, touche au but. Un petit ventre mou, à la première approche, apparaît au centre du disque plus lent et plus vague. Le changement de rythme fausse les pistes en laissant croire un instant à une perte d’énergie, mais bien au contraire. La narration de Hive Mind est calibrée au possible, les boulons aussi serrés que le corset de Kim K. Chaque titre prend de la hauteur, comme de la légitimité. La clique passe des travers du R&B alternatif aux envolées de la nu soul. Gros démarrage plein de funk, pauses soul et ballades à l’ancienne, avant ce second souffle R&B, doré de jazz et de soul psychédélique.
Sur ce trajet, Syd relève la tête. Et lorsqu’elle fait des références aux chanteuses des années 90, elles puisent dans les manières d’Aaliyah et de Janet Jackson. Une fierté qu’elle gratine simplement d’une part d’elle-même. Lorsque le chant pourrait toutefois rejoindre les abords du cliché, la modernité de la musique le tire immédiatement vers la lumière. The Internet s’est doté d’un corps, dense et chaud. La basse le traverse, comme une identité palpable – le cœur de cet être intense.
Après la séparation, The Internet a probablement trouvé le lien qui manquait au collectif, ou simplement ce point de fuite nécessaire. Une direction commune, qui unit. Pour preuve, les collaborations sont quasiment inexistantes, si ce n’est l’apparition de Big Rube sur « It Gets Better (With Time) », comme si la référence au temps prenait tout son sens – à ses côtés, entre eux. Trois années seulement auront suffi au groupe pour passer d’un bon disque au classique, dont les ondes prolongeront leur roulement.