HIT ME HARD AND SOFT

Billie Eilish

Dark Room / Interscope Records – 2024
par Émile, le 5 juin 2024
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Avec plus de 87 millions d’auditeur·rice·s mensuels sur Spotify, des milliards de vues sur YouTube et des chiffres de vente de disque absolument dingues, Billie Eilish, 22 ans et deux albums dans les pattes, est devenue un monument de la musique internationale. À l’heure d’une troisième sortie dont le démarrage est au moins fidèle aux précédents, la question se pose : comment ? Comment est-elle devenue la plus grosse popstar au monde : produit bien ficelé ou vrai talent générationnel ?

Avec WHEN WE ALL FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO ? en 2019, Billie Eilish et son frère FINNEAS faisaient souffler une clim' bien agréable sur le petit monde des très grosses ventes avec une pop originale et intéressante dans ses références. Mais la surprise n’existait que du côté du public. Côté label, on avait tout de suite compris l’intérêt commercial de produire Billie Eilish et d’en faire une icône très lisse pour la Gen Z, de la même manière dont Ted Field et Jimmy Iovine avaient déjà procédé en rachetant Death Row Records (en moins lisse), et en mettant en avant d’autres artistes telles que Lady Gaga ou Olivia Rodrigo. Sauf que chez Darkroom, le sous-label qui a découvert la Californienne, on est aussi porté vers une vraie authenticité. Cette même authenticité qui fait que la musique de Billie Eilish a ce quelque chose qui la distingue d’autres grosses stars comme Dua Lipa en la faisant moins ressembler à un produit marketing.

Sur HIT ME HARD AND SOFT, ces mêmes éléments subsistent, avec notamment des références permanentes aux musiques indé des années 1990 et 2000. On appréciera le clin d’œil à la fin de « L’AMOUR DE MA VIE » (oui, elle est passée du tout minuscule au tout majuscule) à la vague sur laquelle surfait Gigi d’Agostino en 1999. Et c’est sur ce même morceau qu’elle offre une perspective bien plus originale – et drôle, on le répète – sur les relations amoureuses. Et si ce n’est pas les Daft Punk qu’on entend au milieu de « CHIHIRO », qu’on vienne me le soutenir en face. On en devient même parano, à croire entendre des bouts de ska sur « LUNCH ». Mais non, ça doit être dans notre tête. Malheureusement.

Les sonorités des guitares, la simplicité des synthés et le goût pour les wobbles, tout concorde à donner une atmosphère qui rend assez fidèlement le rock d’il y a vingt ans. C’est aussi dans cet éclectisme qu’elle va chercher son public, entre le random folk track qu’est « WILDFLOWER », les titres aux structures plus audacieuses, et les formats très courts pour les réseaux. Dans les paroles également, on voit de fort belles choses, comme sur « BIRDS OF A FEATHER », morceau un peu chiant qui se distingue par la capacité du texte à tirer le côté sombre de son personnage vers de très belles touches émotionnelles.

Et si HIT ME HARD AND SOFT ne semble pas fondamentalement différent de Happier than ever, Billie Eilish affirme pourtant dans son entretien pour Apple que son frère et elle ont travaillé d’une tout autre manière : avec plus de prudence, en étant moins sûrs d’eux, mais aussi en cessant de travailler morceau par morceau, pour un projet à appréhender dans sa globalité. C’est peut-être tout simplement ce qu’on appelle l’expérience, et qui fait que l’album est une production assez impeccable. Mais cette production impeccable, c’est également celle qui donne l’impression, de loin, d’écouter ce que font beaucoup d’autres artistes. Et c’est ce qui laisse un goût étrange et assez unique, d’une artiste qui laisse apparaître tous les signes d’une musique qui pourrait hisser le drapeau d’une certaine radicalité tout en étant, quasiment toujours, un peu fade.

Le goût des autres :