Hit Parade
Róisín Murphy
Qui ici a envie de se remémorer ces mois compliqués de 2020, quand le monde était en guerre – enfin, en guerre contre les fabricants de PQ, surtout? Pour nous éviter de sombrer, certains artistes ont alors pris l’initiative d’occuper notre temps libre. Et sur la liste des bienfaiteurs, on retrouve Róisín Murphy : pas à plaindre dans sa maison d'Ibiza, la chanteuse irlandaise a su nous divertir avec des sessions qui réussissaient le petit exploit d’être intimistes tout en conservant cette autodérision qui fait le sel du personnage.
Cela fait trois ans que l’ancienne chanteuse de Moloko a posé ses valises sur la petite île des Baléares. Et, faut-il le rappeler, celle-ci ne se résume pas à son ballet incessant de bolosses qui pensent que la vie ne vaut la peine d’être vécue qu’en payant 10 euros pour une bouteille d’eau dans un club dont la sélection du dj a autant d’originalité que le carnet de vannes de Gad Elmaleh. On l’oublie souvent, mais une bonne partie de ce lopin de terre vaut le détour pour ses recoins les plus sauvages, préservés des affres d'un clubbing sans âme. On ne connaît pas l’adresse exacte de madame Murphy, mais on peut penser que c’est dans ces coins moins fréquentés d’Ibiza qu’elle a élu domicile, que l’acclimatation s’y passe à merveille, et qu’elle y a trouvé une énergie nouvelle.
Pour l’aider à canaliser ce souffle nouveau, Róisín Murphy a fait appel à DJ Koze, venant concrétiser sur tout un album les promesses entrevues sur « Illumination » et « Pick Up », de loin le plus gros carton de la carrière de l’Allemand. Toujours aussi à l'aise dans son rôle de diva de la dance music, qu’elle assume ici avec son charisme et sa sensualité habituels, Róisín Murphy n’a jamais semblé aussi libre et prête à prendre des risques que sur Hit Parade. Il faut dire que les productions qu’elle a façonnées en alchimie avec DJ Koze, douces et minimalistes, l’amènent à se mettre à nu comme rarement auparavant – un paradoxe pour un artiste que l’on associe souvent aux tenues de scène bigarrées pensées par l’Anversois Dries Van Noten. Et pour un album dont le titre renvoie à la capacité d’un artiste à flatter nos bas instincts, Hit Parade s’impose comme le disque le moins immédiat de sa carrière, mais certainement pas le moins abouti. Et puis des titres comme « Free Will » ou « CooCool » sont déjà bien haut au Top 50 de nos cœurs de connards exigeants, et c’est tout ce qui compte.
En remisant au placard ses poses les plus excentriques, Róisín Murphy nous donne l’impression d'entamer une nouvelle ère : elle a 50 ans et oui, la fête sera peut-être un peu moins folle, mais pas ennuyeuse pour autant. Et puis, au beau milieu de cet océan de sensualité, entre deux boucles de soul triturées à l’extrême, la paire se rappelle quand même au bon souvenir de nos crampes au mollet avec des bangers froids, comme le producteur teuton nous en livrait à l’époque où il faisait les beaux jours de l’écurie Kompakt (l’enchaînement « You Knew » / « Can’t Replicate » est irrésistible). Seule ombre au tableau : avoir sorti ce disque au moment où l’été tire sa révérence, alors qu’il aurait pu en être la bande originale incontestable.