Heroes & Villains
Metro Boomin
Avant de plonger dans cette chronique, nous vous conseillons d'aller visionner sur YouTube l'incroyable film promotionnel partagé par Metro Boomin quelques jours avant la sortie de ce nouvel album.
Metropolis est en grave danger. L’immense cité, sorte de Gotham City du rap-jeu, est en proie aux flammes et semble assiégée par de vilains usurpateurs qui sèment le trouble en récoltant le fruit du travail acharné d’autres artistes pionniers. La ville de Metropolis est bien évidemment une métaphore de la scène trap qui, après des années au sommet, souffre aujourd’hui d’une concurrence extrême et d’un désintérêt grandissant. Dans cette jungle chaotique et surpeuplée, où l’on joue des coudes pour se faire une place au sommet des charts, un seul homme semble capable d’insuffler un nouvel élan, et sauver la ville de l'autodestruction. Notre héros s’appelle Metro Boomin, producteur de génie, dont le statut de GOAT de la trap est certifié depuis des années. Lui seul peut inverser la tendance, lui seul a le pouvoir de rassembler une troupe d’Avengers de la trap (Future, Young Thug, Travis Scott, Don Toliver et 21 Savage) autour d'un projet cohérent.
Sans conteste, Heroes & Villains se positionne comme un des blockbusters de 2022, et se donne les moyens de sa politique. Que ce soit la promotion de l’album - époustouflante d’originalité, jusqu'à cette pochette en hommage au Wish You Were Here des Pink Floyd-, la liste des invités ou encore l’atmosphère cinématographique qui émane des quinze titres, Heroes & Villains est une production imposante, maitrisée de bout en bout par un Metro Boomin au sommet de son art. Fidèle à sa réputation, le détail appliqué à chaque percussion, chaque synthé, chaque ligne de basse est tout simplement stupéfiant - il suffit d’écouter la richesse de l’instru de « Too Many Nights » pour s'en convaincre. De même, les quelques sombres notes de piano qui portent la production de « Umbrella » sont un terrain de jeu idéal pour le flow lugubre d’un 21 Savage, plus menaçant que jamais. Les bangers s’enchainent avec une facilité déconcertante, jusqu'à nous achever sur « Creepin », une reprise parfaite du mythique « I Don’t Wanna Know » de Mario Winans, magistralement interprété par The Weeknd, qui nous replonge à l’époque d’Echoes Of Silence, quand le bougre faisait des covers de Michael Jackson et France Gall. Dernier petit détail qui a son importance : après Savage Mode 2, la narration du disque est à nouveau assurée par Morgan motherfuckin Freeman en personne. Alors oui, on pourra regretter de toujours retrouver les mêmes intervenants – à quelques exceptions près, ce sont les mêmes que sur Not All Heroes Wear Capes – mais il faut avouer que l’alchimie fonctionne si bien qu’il faudrait être fou pour ne pas se reposer sur une telle ligne d'attaque.
Après un début d’année très compliqué au niveau personnel – sa mère a été assassinée par son nouveau mari – le producteur de 29 ans est parvenu à vaincre ses démons, sortir la tête de l’eau et pondre un nouvel album dont l’approche théâtrale et la noirceur envoutante nous prennent aux tripes dès les premières notes. Ayant conquis les rues de Metropolis depuis bien longtemps, Metro Boomin passe un cap et semble prêt à s’envoler pour Hollywood, lui qui est devenu une sorte de Hans Zimmer de la rue, capable de produire des bandes-son grandiloquentes, et surtout d’une qualité inégalable. On pourra juste regretter que notre héros ne sauvera pas la trap d’un désintérêt croissant ; après tout, elle a tout gagné ces dix dernières années et la saturation devenait inévitable. Néanmoins, Heroes & Villains nous prouve que le genre est loin d’avoir abdiqué et, qu’en se donnant les moyens, il peut encore réaliser de très très belles choses.