Heavy Heavy
Young Fathers
Pourquoi tant de personnes s’obstinent-elles à porter des Crocs publiquement ? Pourquoi le jus d’orange donne-t-il si mal à la tête le lendemain lorsque celui-ci est mélangé avec de la vodka ? Et pourquoi, après dix ans de turbin, les Young Fathers ne remplissent-ils toujours pas des salles d’une capacité proportionnelle à leur talent ?
Tant de mystères de la vie qui cherchent encore leur résolution. Pour la plupart, nous admettrons sans mal notre impuissance, mais dans une certaine mesure, il nous est toujours possible de pousser les égaré·e·s dans les bras des Écossais.
Dix ans donc que le groupe continue de voler plus ou moins sous les radars, endossant malgré lui l’étiquette de « petit cousin de TV On The Radio », chargé de nous divertir en attendant leur hypothétique comeback. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir servi jusqu’ici une discographie pratiquement irréprochable qui aurait dû élargir petit à petit son audience tout en affinant son identité. On espère donc que cette fois-ci sera la bonne et que Heavy Heavy fera bouger les lignes.
Parce que Heavy Heavy mouille sérieusement la chemise - et la nôtre par la même occasion. Tel un joggeur qui s’impatiente de voir le feu passer au vert, ce quatrième album reste en permanence sur ses appuis et ne s’autorise que de rares moments de répit. La tension est constante et la trajectoire parfaitement négociée.
Le trio est désormais parvenu à cet équilibre où il est capable de condenser tout son savoir-faire en trois minutes sans que cela ne paraisse ni laborieux ni calculé. Malgré le foisonnement d’idées – en particulier les chants et les percussions puisées largement dans les origines africaines de Alloysious Massaquoi né au Liberia et Kayus Bankole ayant grandi en partie au Nigeria —, le groupe ne tente pas d’imbriquer toutes ses pièces au chausse-pied en laissant la charge à l’auditeur·rice de faire le tri. Il absorbe les genres - pop, gospel, rap, soul, électro, post-rock… rien n’est écarté — et les fonde jusqu’à ce que cela sonne comme du Young Fathers. Une telle cohésion relève quasi du miracle.
Dans le même temps, les gars élèvent la maîtrise de "l’ascenseur émotionnel" au niveau de discipline olympique : éplucher une intention jusqu’à l’os tout en augmentant graduellement la température jusqu’au climax final. Recommencer l’exercice sur le titre suivant.
Ce qui pourrait être un gimmick chez la plupart devient chez eux une formule magique. "I Saw" (formidable premier single dont on ne se remet toujours pas), "Drum", "Tell Somebody", "Geronimo"… Les titres se succèdent en proposant à chaque fois un autre thème, une autre variation, une autre prise de risque.
Faites-nous donc plaisir, allez écouter le nouveau Young Fathers, bordel.