Heaven Or Hell
Don Toliver
À quoi reconnait-on une icône du rap? À ses ventes d’albums cumulées ? À son nombre de followers Instagram ? À son débit de syllabes par minute ? Au nombre de zéros sur son compte en banque? Peut-être bien que l’indicateur le plus pertinent pour mesurer la notoriété d’un rappeur tient dans sa propension à faire éclore de nouveaux talents. L’exemple qui vient immédiatement à l’esprit est bien entendu Dr. Dre, ou encore l’écurie Young Money de Lil Wayne et Birdman. Plus récemment, on pourrait également citer le travail remarquable de J. Cole avec toute la clique Dreamville.
C’est dans cette optique que, depuis quelques mois, un nouveau collectif emmené par Travis Scott, nommé JackBoys, composé de Sheck Wes, Don Toliver, Luxury Tax et du DJ Chase B, tente à son tour de grimper dans la chaîne alimentaire du rap américain. En surfant sur la nouvelle notoriété de son chef de file, acquise suite au succès planétaire d’ASTROWORLD, ce super-groupe originaire de Houston a sorti un premier projet éponyme en décembre dernier. Porté par les singles « Gang Gang » et « What To Do ? », JackBoys n’était en réalité qu’un amuse-bouche visant à balayer le terrain pour les albums solo de chaque membre du collectif. Don Toliver, avec son Heaven Or Hell, est donc le dernier en date à passer par la case LP.
Premier constat, le Texan de 25 ans au timbre de voix si particulier, qui rappelle étrangement celui d’Akon, est doté du même talent que son mentor Travis Scott, c’est-à-dire qu’il a cette faculté à pouvoir transformer des textes vides de sens en véritables bangers mélodieux. Car il y a effectivement une bonne poignée de hits sur Heaven Or Hell, et des titres comme « Wasted », « Cardigan » ou encore « After Party » font immédiatement mouche. Ayant à sa disposition une armada de producteurs de renom qui ont tous précédemment collaborés avec Travis Scott - TM88, Sonny Digital ou encore la talentueuse WondaGurl - il va de soi que le disque de Don Toliver comporte son lot de synthés futuristes et de 808 minutieusement calibrés. Musicalement, les ressemblances esthétiques entre Travis Scott et son poulain sont d'ailleurs indéniables, peut-être même inquiétantes. Cette préoccupation grandissante prend racine dans ce choix peu aventureux de producteurs, puis s'accentue au fil d'une tracklist qui ne semble jamais parvenir à se détacher du monde fumeux et autotuné d'un Birds In The Trap Sing Mc Knight ou d'un ASTROWORLD. Par ce manque d'audace, Don Toliver élimine fatalement toute opportunité de se forger un univers qui lui est propre - ou pour citer le papier tout aussi mitigé de Pitchfork: « Don Toliver seems comfortable existing in Travis Scott’s shadow ».
Avec seulement douze titres au compteur, il est également regrettable d’y retrouver trois titres sortis en 2019, et on se dit que recycler vulgairement un quart de son premier album n’est peut-être pas la meilleure des idées, surtout pour un nouvel entrant sur le marché. Alors oui, on empile les reproches, pour autant Heaven Or Hell n’est pas un mauvais disque; les singles cités précédemment confirment bien que Don Toliver est tout à fait capable de cocher les bonnes cases et de répondre à nos attentes - sans toutefois les dépasser. Afin de cesser les jérémiades, on va tout simplement considérer que le rappeur de Houston n’a pas encore terminé sa mue – du moins, on l’espère, sinon sa carrière risque de suivre la même trajectoire affligeante que celle du malheureux NAV, qui n’a plus sorti un titre potable depuis « Biebs In The Trap ». Mais pour en revenir au protégé de Travis Scott, il n’est pas évident de masquer notre amertume vis-à-vis de ce premier disque dont on attendait beaucoup, mais qui est finalement incapable de se démarquer des autres projets précédemment sortis sur le label Cactus Jack. Pressenti pour figurer sur la prestigieuse liste des XXL Freshmen 2020, Don Toliver va devoir passer la seconde s'il souhaite un jour marcher dans les traces de son aîné.