Hat Trick
JeanJass
Ils sont de retour, mais est-ce pour le meilleur? En 2018, Double Hélice 3 avait envoyé Caballero & JeanJass sur une pente très savonneuse: certes, les deux compères ont toujours tenu à combiner amour du hip hop et esprit festif et décalé, mais ils commençaient à davantage ressembler aux Chevaliers du Fiel qu’à Tandem. La parenthèse High & Fines Herbes a fait du bien, mais avant de se retrouver le Bruxellois et le Carolo ont voulu tenter l’aventure solo. Mais Caba et JJ sont comme des jumeaux : même séparés, ils sont inséparables. Du coup, la sortie simultanée de OSO et Hat Trick peut en laisser certains dubitatifs, tant elle met les deux albums en concurrence. Surtout que dans le cas d’espèce, un disque vaut clairement plus le coup que l’autre. Coup de bol pour JeanJass.
Contrairement à ce que laissaient présager son titre et sa pochette (au demeurant très réussie), Hat Trick est loin de se cantonner au rap de footeux. Les quelques vannes et références au ballon rond sont évacuées dès le début de l’album, laissant place à un projet complet et rempli de bonnes surprises. Il faut reconnaître que contrairement à son comparse, JeanJass souffre moins de l’appauvrissement rapologique qu’implique le rôle d’amuseur pour le grand public rap: "J’écris de moins en moins en bien pour me faire connaître", concède-t-il d’ailleurs sur "Ovni". Également moins associé à l’image de "rappeur technique" dans la tête des puristes, il a toujours tiré son épingle du jeu grâce à des couplets moins impressionnants, mais plus constants : une voix monotone, mais attachante, des rimes pauvres compensées par une poignée de bons mots.
Sur la première partie de Hat Trick, cette fameuse recette JeanJass est bien présente et fonctionne plutôt correctement, mais sans grande valeur ajoutée par rapport à son travail en duo, si ce n’est dans les parties instrumentales. D'ailleurs, pour les besoins de l’album, JJ a endossé sa casquette de (co)producteur avec brio: entouré de Dee Eye, Eazy Dew, Ponko, La Miellerie ou Vladimir Cauchemar, le rappeur fait étalage de ses compétences et son bon goût. De la trap au boom bap en passant par des rythmiques made in UK, tout y passe mais l’excellente tenue globale atteint son point d’orgue avec "Fatigué", folie à mi-chemin entre Travis Scott et Kenny Beats. Ce morceau rompt d’ailleurs avec le ventre mou qui le précède, et qui dénote de la principale faiblesse de l’album : ses textes.
Car s’il parvient à nous toucher, Jassim reste la plupart du temps assez maladroit. "Qu’est-ce qui m’arrive" délivre un message digne d’un YouTubeur, "Président" est gênant et à peine assumé tant le mauvais second degré des blagounettes désamorce la moindre phase sérieuse, "Berkane" aborde un sujet touchant mais assez mal amené textuellement… Heureusement que le dernier tiers de l’album, entamé par le très bon couplet d’un Akhenaton alliant sobriété et efficacité, se montre plus personnel - et réussi - que jamais. Dans l'ultime ligne droite de Hat Trick, JeanJass exploite sa science du boom bap pour se livrer sur ses doutes, sa relation de couple et quelques histoires intimes, le tout avec bien plus de panache que son copain bruxellois. On finit alors notre écoute sur un sentiment agréable de plénitude et d’apaisement, avec la satisfaction d’avoir passé un très bon moment de rap, offert par un artiste qui s'est globalement donné les moyens de sa politique. Pari réussi pour JJ, même s’il fait plutôt souffrir son binôme de la comparaison. Mais après tout, ils l'avaient bien cherché.