Harlan & Alondra
Buddy
A bien des égards, le rap de 2018 est une machine fascinante. Phénomènes de niche il y a encore quelques années, Future, Migos ou A$AP Rocky ne font plus que marcher sur l'eau dans leur studio: ils lancent leur rouleau-compresseur sur la pop culture. Et bien qu'il continue de nous surprendre par sa capacité à se renouveler, le rap mainstream s'est converti en quelque chose d'extrêmement codifié, et peu enclin à sortir des clous malgré l'image anti-conformiste que ses plus incontrôlables hérauts semblent vouloir renvoyer. Dans ce contexte d'uniformisation des projets, le besoin d'écouter autre chose que les habituels blockbusters ou les 30 mêmes singles poussés par un algorithme se fait naturellement ressentir à intervalles réguliers, et le premier album de Buddy est exactement ce bol d'air frais dont on a tous besoin.
On est d'autant plus content d'avoir ce premier album entre les mains qu'on pensait la carrière du gars de Compton vouée à l'échec: malgré une grosse mixtape (Idle Time), malgré une signature sur Star Trak, et malgré un EP produit par Kaytranada, Buddy était absent des principaux radars. Dans une économie du rap qui veut célébrer toute sa diversité mais se garde bien de prendre des risques histoire de ne pas voir la machine à dollars se gripper, Harlan & Alondra n'est peut-être pas le produit qui s'inscrit le plus dans son époque, par contre il dégage une fraîcheur qui en font finalement un disque qui résistera autrement mieux aux affres du temps que Queen ou Scorpion.
Déjà, contrairement à ces deux derniers (et à trop de disques de rap en 2018), Harlan & Alondra n'est pas pensé comme une immense et interminable playlist ayant pour seul objectif de battre des records sur les plateformes de streaming, mais bien comme un album qui raconte quelque chose grâce à un séquençage très réussi et une tracklisting qui va à l'essentiel - 39 minutes seulement, on croit rêver. Ensuite, il y a une vraie cohérence d'un bout à l'autre des douze titres: fil rouge de ce premier album, le groove chaud et rondelet des différents producteurs du disque est vraiment pensé pour coller au flow agile du MC californien, et pour valoriser des invités dont on sent qu'ils ne sont pas venus parce que le label leur a demandé, mais bien parce qu'ils y croient - Ty Dolla $ign pose un hook intestable (une habitude chez lui), A$AP Ferg est d'une rare justesse sur l'irrésistible banger "Black", et tonton Snoop Dogg montre qu'il a encore un peu de classe en lui sur un "True Blue" qu'on croirait produit par Dâm-Funk.
Dire de Harlan & Alondra qu'il s'agit d'un disque sans prétentions pourrait être tentant, mais ça ne rendrait pas justice à l'immense travail qui semble avoir été réalisé avec soin en amont de la sortie du disque. On sait qu'aujourd'hui, ce n'est pas vraiment le genre de choses auxquelles le fan de rap lambda prête vraiment attention, et c'est probablement pourquoi cet album de Buddy sera ce disque dont on déplorera le silence criminel entourant sa sortie, en sachant pertinemment bien pourquoi ce fut le cas.