Ha, Ha, He!
MOURN
Il est des albums dont la genèse est plus compliquée que d’autres, semée d’embûches ou de petites fils-de-puteries. Sans pousser outre-mesure le manichéisme de notre esprit un peu borné, ce sont généralement ces mêmes albums qui entrent soit dans la légende ou bien tombent dans la cuvette des chiottes de l’oubli absolu. Et à l’âge où certains d’entre nous bouffaient encore leurs crottes de nez, on peut dire que MOURN a affronté bien des galères au cours de la création du présent album, sans pour autant désespérer. Bref, des retards incessants d’un batteur rongé par un sommeil excessif à la fameuse embrouille les opposant à leur propre label espagnol - sur laquelle on ne reviendra pas - Ha, Ha, He! a réellement failli ne jamais voir le jour. Du coup, à l’heure d’aborder cet album dont le titre s’apparente à un subtil mouvement de majeur envers le label suscité et toujours dans les limites de notre esprit aux déductions rapides, deux options s’offraient vraisemblablement à nous : avions-nous affaire à un grand album de MOURN ou à un gigantesque étron ?
Sauf qu’en fait on connaissait déjà un peu la réponse, influencés qu’on est par une très grande confiance en ces jeunes gens au talent indéniablement précoce. À l’heure du « toujours difficile second album », on savait donc a priori que MOURN ne pouvait pas nous décevoir. Et à raison, parce que même si le groupe ne change pas ici d’un poil la bonne recette de son post-punk encore boutonneux, les 12 titres de Ha, Ha, He! se veulent plus audacieux et réfléchis que les précédents, bien que toujours aussi concis.
Qu’on soit bien clairs, il est relativement risqué de lancer ce disque lors d’un apéro entre potes non avertis, au risque d’enclencher une série de défenestrations, pendaisons ou autres procédures suicidaires. Oui, car la musique de MOURN est froide, glaciale même, et d’une noirceur terrible. Merde, comment 4 gamins font-ils pour jouer une musique si déshumanisée, si violemment dépouillée ? Et comment ne pas penser à Slint devant tant de morosité ? Tranchant comme l’acier, d’une lame nette et précise, chaque titre dépeint par son ultra-violence désabusée et dénuée de toute émotion la grisaille propre aux quatre ibériques, déjà bien taciturnes pour leur âge.
Alors discrets oui, mais pas en manque d’énergie pour autant, en témoignent les hurlements communs à la très grande majorité des titres ici présents ainsi que la production parfois très noisy ou les réminiscences punk du meilleur effet. Du punk d’ailleurs, les quatre gamins espagnols ont préservé l’esprit de concision et d’efficacité - l’album ne dure qu’une trentaine de minutes - mais n’hésitent cependant plus à taquiner un peu le manche des 6 cordes quand nécessaire ("The Unexpected") et dévoilent même une maîtrise vocale insoupçonnée ("Fry Me").
Serait-ce pour autant l’album paroxystique, l’Everest déjà gravi de la très prometteuse carrière de MOURN ? Fort heureusement non. Néanmoins, gageons que si l’ascension est pour l’heure incontestablement belle, elle le sera davantage encore par la suite, pour peu que le groupe poursuive de la sorte et approfondisse les voies impénétrables de l’expérimentation. En attendant merde, refilez-moi mon Prozac.