Guts
Olivia Rodrigo
Il y a des paradoxes qu’on préfère ne pas chercher à expliquer, ni même à comprendre. Comme celui qui amène une génération comme la mienne à souhaiter de tous ses vœux le retour tant attendu du rock sur le devant de la scène. Sachant que cette même génération a pris la fâcheuse habitude de chier à pleines coliques sur le premier morceau à guitares qui ose – crime infâme ! – s’adjuger le moindre succès populaire.
Dans ce contexte, écrire tout le bien que nous pensons de Guts, deuxième album d’Olivia Rodrigo, déclenchera l’ire d’un public qui se revendique radicalement « alternatif » et qui risque bien d’arrêter ici la lecture de cette chronique, pour autant qu’on ait pris la peine d’ouvrir un article qui traite d’une artiste dont plusieurs titres ont déjà franchi le milliard d'écoutes sur Spotify.
Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : du haut de ses 20 ans, Olivia Rodrigo signe avec Guts une pépite pop-rock qui entre tout droit dans la catégorie des très grands albums de ce premier quart de siècle, surpassant au passage le déjà excellent SOUR. En 40 minutes bien tassées, la Californienne coche toutes les cases du disque référence : sens inné du refrain qui caresse d'une main et cogne de l'autre (« Vampire »), aisance absolue pour passer d’un registre College Rock (« Bad Idea, right ? ») à un répertoire tout en délicatesse et retenue (« Making the bed »), maîtrise totale du sarcasme (« Love is Embarassing ») et écriture crue qui lui vaut la mention « explicit lyrics » sur la moitié des titres. Côté sons, la superstar se montre aussi à l’aise pour poser sa voix sur une suite d’arpèges de piano que lorsqu’il s’agit de hausser le ton devant un mur de guitares rageuses.
Qu’Olivia Rodrigo s’érige désormais en porte-étendard d’une génération d’ados fatigué·e·s d’avoir été biberonné·e·s aux pandémies, aux conflits armés illisibles, aux angoisses climatiques, aux fausses promesses des pro de l'influence et à l’omniprésence médiatique de boomers prédateurs n’a rien d’étonnant. En revanche, ce qui surprend le quadra derrière ces lignes, c’est que Guts réussisse le grand écart parfait pour toucher droit au cœur les parents de ces mêmes ados.
L’album parvient en effet à ressusciter une recette qui avait largement façonné notre éducation musicale au milieu des années 90. Il est ici question d’un temps que les moins de quarante ans peuvent ne pas connaître : celui où MTV diffusait encore de la musique et a favorisé l’émergence de toute une scène pop aux références punk assumées. Ces mêmes icônes pop nineties qui, pour certains, auront servi de tremplin vers des musiques plus pointues. A cet égard, Guts aurait pu être taillé pour une époque révolue depuis belle lurette tant il invoque des noms tels que Green Day, The Breeders ou Cake. En poussant la nostalgie encore plus loin, on pourrait même entendre dans ce disque la bande-son parfaite d’une des plus grandes séries de tous les temps : Daria.
Bien sûr, il y aura toujours des hordes de pisse-froid qui prétendront n’avoir jamais été influencés par MTV. Ceux qui jureront être passés directement de la "Danse des Canards" à Slowdive et du Jacky Show à Helmet. Tout au plus admettront-ils qu’à 11 ans et demi, ils se levaient à 2 heures du matin pour regarder un live de Jon Spencer Blues Explosion sur Alternative Nation. A tous ces snobs, Olivia Rodrigo ouvre aujourd’hui la porte du repentir. Ce n’est pas grave d’avoir kiffé The Offspring ou No Doubt avant les Melvins. Et prendre votre pied en écoutant Guts n’altère en rien la qualité de vos souvenirs d’avoir vu en 97 dans un bar paumé un obscur side project du fils du voisin du mec qui a joué trois notes de basse sur le premier album de Tom Waits. De notre côté, on vous racontera comment on a kiffé le concert d'Olivia Rodrigo au Sportpaleis d'Anvers au prochain apéro. Vous ne serez pas obligé de nous croire.