Guitar Music
Courting
Il y a quelques jours, j'ai discuté avec un artiste en développement, amateur de mélodies enjouées et de bons sentiments. Selon lui, dans un monde profondément moche, il était presque de son devoir de chanter la naïveté, “la petite mamie qui chute et qu’un jeune homme vient aider dans la rue”. L’humanisme comme valeur absolue d’une musique populaire engagée, comme rempart (potentiel, mais non le seul) à la grisaille des corps et des âmes modernes. Pourquoi pas. Après tout, chanter la joie ou le beau temps après la pluie n’est pas nécessairement moins noble que sublimer le deuil. Ou le chaos, le bordel, la fête et ses conséquences.
Quatuor basé à Liverpool, Courting est le dernier groupe à émerger d’une ville imprégnée d'un héritage musical fantastique (fanatique même) et diversifié (nul n’a besoin ici d’une liste quelconque). Le groupe, qui écrit et répète dans le sous-sol d'un restaurant de la ville, puise son inspiration dans le creuset créatif du Merseyside. Voilà pour le décor. Une poignée de singles depuis 2019 et, aujourd’hui, Guitar Music, premier album. Voilà pour le CV. Sans aucun doute l’un des meilleurs disques de l’année, l’une des collections pop et rock les plus enthousiasmantes, exaltantes des dix dernières années. Voilà pour les louanges.
Naïfs, les quatre garçons dans le vent le sont sans aucun doute. Il faut l’être, un peu, pour monter un groupe de rock à Liverpool. Bordéliques, aussi. Une affaire de moyens, mais pas uniquement. Car les auteurs de Guitar Music, un album de guitares certes, ne se contentent pas de plaquer les accords connus, de jouer, de composer. Chaque riff est ici sublimé parce qu’imbriqué dans un autre ; chaque idée, chaque intonation devient la pièce d’un puzzle monstrueux. Les morceaux, telle une tour de Jenga, sont aussi jouissifs que dangereusement branlants. Sur “Loaded” (titre hautement symbolique), une voix hargneuse devient soudainement objet robotique. Sur “Uncanny Valley Forever”, long, trop long morceau sans aucun doute, bac à sable absurde, tout devient progressivement malaisant.
Courting chante tout, n’importe quoi. Le quotidien un peu cool (“tout le monde a un Letterboxd aujourd’hui”), les drogues, la vie de rock star qui n’est pas encore la leur, mais aussi, en vrac : le monde moderne, les dérives techno, la gueule de bois, l’instabilité mentale… Tout ceci n’est pas très sérieux, tout est terriblement important. Guitar Music est un album formellement et humainement parfait. Profondément de son époque, donc inconséquent, immédiat, gueulard, bidonnant, Courting, plus encore que la naïveté, opte pour le chaos, la dernière soirée, celle dont on ne se souviendra pas (c’est le lot d’un groupe rock en 2022, peu de chance que nous en parlions encore en 2032), alors autant la rendre aussi belle que cette pochette est moche. Les jeunes cons, eux, regardent la mamie glisser dans un grand éclat de rire. Vidéo Gag plutôt que Le Jour du Seigneur, donc.