Grace
Sonic Jesus
Groupie de la première heure des Black Angels, la sortie du Split Single no.5 chez Fuzz Club Records en 2014 retint alors toute mon attention, et pour cause : un morceau inédit des Texans y occupait une face entière. Mais la vraie bonne surprise de ce mini EP se trouvait en fait en face B avec un jeune groupe italien et son excellente "Lost Reprise", longue litanie psychédélique de près de huit minutes.
Sonic Jesus s’était déjà fait remarquer au début de la décennie par sa présence au casting des deux premières compilations cultes The Reverb Conspiracy, mosaïque des meilleurs représentants de la scène néo-psych européenne d’alors. En 2015, le groupe confirme avec la sortie, toujours chez Fuzz Club, du remarquable Neither Virtue Nor Anger avec des titres plus renversants les uns que les autres, "Monkey on my Back", "My Lunacy", "Paranoid Palace", "Dead", "Locomotive" et sa suffocante montée en puissance et donc "Lost Reprise" tous mélange parfait d’influences shoegaze, drone et psychédéliques flottant hardiment entre eighties gothiques voire anxiogènes (cf. pochette) et sixties plus chamarrées. Autant dire un must have pour les aficionados de la scène néo-psych et autres fanatiques de noirceur post punk.
Changement de décor en 2017 avec un virage nettement plus pop pour ce Grace dont le titre et la cover augurent un peu plus de lumière et de légèreté. À première écoute, les plus anciens d’entre vous reconnaîtront l’indéniable influence de Joy Division (les réussis "Modern Model" et "September 9th"), les plus jeunes, celle d'Interpol tant la voix sépulcrale de Tiziano Veronese, les basses hybrides avec de longues reverbs « à la Cure », les synthés très 80 et le martèlement métronomique de la batterie rappellent les plus grandes heures de la cold wave. La formule a ses limites et la fin du disque peut en témoigner avec les fades parodies du genre que sont "Funeral Party" et "Fading Lights".
Oubliés donc les versants psychédélique et drone de son prédécesseur, Grace est un concentré de pop énergique, de shoegaze et de new wave qui décevra sûrement ceux qui ont apprécié Neither Virtue. Pour autant, peut-on reprocher à un groupe de se réinventer ou, à défaut, de faire évoluer sa musique vers d'autres sphères, quitte à y laisser quelques plumes ? Si l’on voulait faire la fine bouche, on pourrait craindre que le groupe se soit en quelque sorte vendu en arrondissant sa production, espérant par la même occasion s’attacher un public moins pointu, et donc plus nombreux. La démarche de Sonic Jesus paraît pourtant bien plus spontanée et désintéressée, et le disque révèle finalement de nombreux atouts. Les compagnons de Veronese ont, par exemple, une véritable science des ponts et des refrains, et réussissent à transfigurer un morceau avec une simple accélération ou un changement de rythme, "I Hope", "No Way" et "Stars" en sont de parfaites illustrations et sont tous trois d’excellente facture. Et que dire du morceau inaugural judicieusement titré "I’m In Grace" par son auteur ? D’une intro un poil lugubre hantée par la voix d’outre tombe de Veronese, on bascule doucement vers une ambiance plus atmosphérique avant de plonger dans un refrain énergique, tout simplement beau. Ce morceau à lui seul sauverait n’importe quel disque. Assurément un des meilleurs titres de ce début d'année.
Il est donc très difficile de noter cet album objectivement car il fera inévitablement de nombreux déçus qui y verront une « Coldplayisation » du groupe mais, dans le même temps, il couve quelques pépites à l’énergie communicative et dont je n’ai pas envie de douter de la sincérité. Le temps et la suite diront qui des sceptiques ou des enthousiastes avaient raison.