Gore
Deftones
Tous les experts s’accordent à dire que le dernier grand album des Deftones est le disque éponyme sorti en 2003. Grand disque, pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il marquait l’abandon ferme et définitif des structures nu-metal qui avait rendu le groupe mondialement célèbre ; ensuite parce qu’il était magnifiquement composé ; et enfin parce qu’il pouvait s’appuyer sur des singles forts (<3 "Minerva" <3), à une époque où ce format avait encore de l’importance en termes de marketing.
Évidemment, dire que ce qui a suivi n’est pas digne de notre intérêt équivaudrait à affirmer que Nadine Morano est une candidate crédible à la présidentielle 2017 ou que le Standard de Liège devrait logiquement remporter l’Europa League l’année prochaine. Disons plutôt que l’aura des Deftones est principalement restée intacte grâce à l’image qu’a toujours renvoyée le groupe, celle d’un bel exemple à suivre, d’un rescapé d’une période un peu sombre et gênante de l’histoire du métal.
Mais voilà, depuis ce fameux album éponyme, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et les bons albums pas totalement convaincants se sont enchaînés tandis que Chino Moreno faisait à peu près ce qu’il lui plaisait – Team Sleep et Palms, oui ; Crosses et prendre du poids, non.
Sur Gore, le groupe apparaît d’ailleurs d'avantage comme un projet vampirisé par les obsessions de son leader que comme une entité solide et unifiée – un sentiment confirmé par le guitariste Stephen Carpenter, qui a confié ne pas avoir pris un panard dingue en studio. En même temps, on peut le comprendre : y’a qu’à voir sa dégaine et son look sur scène pour comprendre que ce mec, ce qu’il veut, ce sont des murs de guitare qui oblitèrent. Et ce n’est pas vraiment ce que l’on entend sur Gore, où les marottes dream-pop, shoegaze et new wave de papa Moreno prennent de plus en plus le pas sur le passif métal du groupe.
Après, que les choses soient claires : cette évolution est une excellente nouvelle pour les fans d’un groupe qui conserve une patte inimitable et une classe folle. Car le constat final est assez simple : malgré son absence de titres vraiment forts, capables de réveiller le fantôme du White Pony, Gore est de loin le meilleur album des Deftones depuis une dizaine d’années. C’est en tout cas celui qui voit les gars de Sacramento vieillir en pleine conscience de leurs capacités (le travail vocal de Chino Moreno force le respect), celui qui déroule ses textures les plus riches, celui qui ouvre les plus belles perspectives d’avenir et enfin celui qui laisse entrevoir une fin de carrière extrêmement prometteuse pour des mecs qui n’ont certainement pas envie de se retrouver bloqués dans la même faille spatio-temporelle que ces néo-guignols de Korn.