Good Thing
Leon Bridges
Leon Bridges débarque avec un second album, Good Thing, façonné d’une justesse qui évite les pièges: la principale erreur aurait été de répéter son premier effort, Coming Home, en se concentrant une nouvelle fois sur une vague rétro à la recherche de l’âme R&B des années 50-60. Son disque précédent possède ainsi bien plus de valeur s’il reste un exploit à part, auquel on peut se référer à l'envi. Sa carrière ne se confine alors pas non plus aux quelques festivals de fermes perdues et des pains saucisses brûlés.
Mais Leon Bridges ne renie pas pour autant ses racines, son histoire et ses amours. Avec un nouveau producteur, Ricky Reed, il se lance dans la progression du R&B qui a suivi les deux décennies déjà revisitées – positionnement intelligent puisque le jeune chanteur serait incapable de tenir un élan purement moderne, Usher étant déjà passé par là et par l’oubli.
Good Thing s’étale donc sur 10 titres dont la forme puise dans 50 ans de sonorités propres à un genre, sans jouer cette fois d’effets mélodiques ou de teintes volontairement vintage. Après une ballade en ouverture, qui propose une sorte de révérence tant à Usher qu’au gros con de R. Kelly, il enchaîne sans ménagement sur la claque de l’album avec la lounge jazzy de « Bad Bad News »: hyper posé, léché et efficace. On vous invite d’ailleurs à vous envoyer le clip dans lequel la mannequine grande taille Paloma Elsesser rayonne, terriblement. Leon Bridges s’y lâche aussi, et devrait-on dire: enfin ! Ces deux titres donnent le ton du projet qui décide de conserver sa rigueur de travail, mais de se foutre en réalité de tout et de crier au ciel.
Proche de ce qu’avait tenté RO James, « Shy » déboule ensuite avec du Maxwell et du D’Angelo bien calibrés dans un roulement chaloupé – comme s’il fallait se retenir avec classe, montrer sa malice, draguer avec finesse et douceur. Derrière, « Beyond » libère une nouvelle ballade plus rythmée, aux allures de Prince avec sa montée de « Purple Rain », avant de passer par un pont dont la lumière provient notamment de chœurs. Ces derniers témoignent d’ailleurs d’une approche plus collective sur ce disque, ayant mis l’introspection à distance.
Le reste s’enchaîne au fil d’une série de couleurs inattendues: le rock alternatif froid de « Forgive you », le R&B arythmique de « Lions », la disco-funk et la house de « If It Feels Good » et « You Don’t Know », la grâce de « Mrs » qui revient à une base traditionnelle – un peu folk, un peu blues – toujours avec le spectre de Prince. Enfin, « Georgia to Texas » conclut l’album sur une superbe louange de la Terre et de la Mère, intrinsèquement liées au chanteur, mais pas seulement; il s’agit aussi pour ce titre de célébrer la basse qui traverse tout le disque, le jazz à l’origine du monde, récité juste avant cette prière mystique et historique.
En définitive, malgré deux volets éclatants, Good Thing n’est pas l’album fulgurant qui balance des claques magistrales à tout va ni le K.O. technique souvent recherché par un public toujours plus exigeant – même sur un titre. Mais Good Thing se présente comme une œuvre qui ne lassera certainement pas. Il conservera sa force, grâce à son énergie authentique et rare: le rayonnement. En célébrant la musique noire par cette voie, il parvient à réaffirmer son message historique: soyez libres et heureux ; vous êtes beaux. Cette révélation seule suffit à en faire un grand et noble disque.