good kid, m.A.A.d city
Kendrick Lamar
Que dire de neuf sur Good Kid M.A.A.D City ? L'album a leaké il y a 5 semaines, ce qui doit faire 5 siècles en temps internet, et tout ce qui se fait de presse, blogueurs de qualité et twittos a donné son avis dessus. Les réactions sont contrastées, les uns parlent de classique ("le premier album le plus important depuis Illmatic", a-t-on même lu), les autres de #fail total. Les propos mesurés, ce n'est définitivement pas fait pour les autoroutes de l'information. Bref.
J'ai été biberonné au Rap West Coast. Pour tout vous dire, j'ai acheté le single de What's My Name de Snoop quand j'avais six ans parce que la mélodie me faisait marrer ("she wants the nigga wiz the biggest nutts", je ne saisissais pas trop, à l'époque) et les choses n'ont pas vraiment changé depuis. J'ai toujours un sourire attendri quand j'écoute des choses comme ça ou ça et j'ai applaudi à trois mains le triomphe mérité du dernier album de DJ Quik l'année dernière. Je suis un garçon sentimental, j'ai envie de me racheter une paire de Converse bleues et le foulard qui va avec en vous parlant de tout ça alors que je ne suis, bien sûr, qu'un nerd binoclard français devant son PC.
2012. Los Angeles est le parent pauvre du Rap Game actuel. Dr Dre continue de déprimer en poussant de la fonte, on a peu de nouvelles de Kurupt ou d'Ice Cube et puis, bon, Snoop Lion quoi. La chaleur est dans le sud, il n'y en a que pour Rick Ross, Gucci Mane, Lil B ("The Based God", peut être le concept le plus mongole de toute l'histoire du Rap) et des tas d'autres gars qui me dépassent. Rien ne m’intéresse chez ces gens, je ne vois pas l'intérêt de ces trucs sans fond qui font l'apologie de la prise de drogues dures. Je ne fais pas la morale, je n'en vois juste pas l'intérêt. Tout ça est musicalement trop lent et inintéressant quand on ne consomme pas de codéine, ce qui est mon cas. Même New-York est complètement down ou fait allégeance (coucou A$AP Rocky).
Puis Kendrick est arrivé. Je n'ai pas du tout aimé sa première tape digitale, le très acclamé Section.80. Ce disque est bon mais je le trouve beaucoup trop soft, trop clean. Surtout, il m'a révolté parce qu'il nie complètement l'héritage de Compton. Comment un enfant de ce hood si chargé en histoire rapologique a pu autant lui tourner le dos ? C'est une question de caractère et de mauvaise foi mais je n'adhérais pas à ce choix. Je vous l'ai dit, je suis sentimental. Puis, en le réécoutant, on se rend compte que c'est surtout l'oeuvre d'un rappeur sur des instrus pop.
Good Kid M.A.A.D City est son premier album officiel et là, quelque chose a changé. Kendrick a compris l'importance de l'enjeu. Surtout, il s'est rappelé d'où il venait, validé par Dre en personne. Ca faisait bien longtemps qu'un disque venant de ce coin-là des States n'avait plus été aussi attendu. Tous les publics rap (et ça fait beaucoup de gens différents, maintenant) attendaient de voir ce que Kendrick avait dans le ventre. Il en a déçu certains, il en a ravi d'autres dont je fais partie.
Kendrick Lamar ne sera jamais un Californien comme les autres: il est calme, presque doux. Surtout, il pense beaucoup, se réfugie dans la religion et raconte sa vie. C'est cru mais c'est posé, le bon gamin a vu beaucoup de choses dans la ville folle et l'album est rempli de ces observations. On est a des années lumières de la culture gang, bien sûr. Bloods et Crips paraissent tellement, mais tellement loin. Qui aurait cru qu'un enfant de Compton pouvait écrire un truc aussi émouvant que "Sing About Me, I'm Dying Of Thirst" ?
Pourtant, étrangement, "Good Kid M.A.A.D City" nourrit le dogme West Coast à sa façon. Ses beats sont très contemporains mais respectent tout un tas de codes inhérents au genre, on trouve beaucoup de guitares, de sirènes sortant de nulle part mais pourtant bien présentes. Le symbole de ce mariage étrange étant le morceau "M.a.a.d. City" : un son coupé en deux avec une première partie où Kendrick pose sur un beat alarmiste son mépris des éternels gangs (renvoyant Bloods et Crips dos à dos !) et une seconde où déboule le légendaire MC Eiht qui proclame un brutal "wake your punk ass up !" sur une ritournelle puant les ghettos angelinos. Le concept même de l'album est résumé par ce morceau : le bon gamin cohabite ici avec un parfait avatar de cette ville folle.
Il est affaire de symboles, comme si souvent dans le rap. Le message envoyé en conclusion de l'album est simple : quand Kendrick termine sur un morceau (et quel morceau, "Compton" avec Dr. Dre), il se place en héritier. Il réussit en un album là où le pauvre The Game échoue depuis tant d'années (la bonne volonté ne fait pas tout, il faut surtout du talent) : porter haut le flambeau d'une culture West Coast malmenée par les aléas d'un Rap Game qui n'aime pas la stagnation et qui a décidé de détruire les chapelles. Il a su le faire intelligemment, en apportant sa sensibilité et ses influences extérieures, aérant clairement un genre qui s'est beaucoup trop replié sur lui même.
Je ne sais pas quelle est la place de Good Kid M.A.A.D City dans le Rap Game actuel et je me fiche de savoir que ce disque a déçu tout un pan de public. Il me satisfait pleinement et me réchauffe le cœur parce que le témoin est passé. Grâce à Kendrick Lamar, Compton a toujours sa place sur la carte du rap américain. Je n'en demandais pas plus, je ne suis qu'un sentimental.