Gommapiuma
Giorgio Poi
La pop italienne serait-elle en train de réaliser une percée méritée sur les territoires francophones, après des décennies à n'exister qu'à travers des clichés grossiers de crooners aux voix rauques ? On a envie d’y croire en tout cas : après un Ti Amo de Phoenix complètement vampirisé par les œuvres de gens comme Lucio Dalla ou Franco Battiato, c’est Andrea Laszlo De Simone qui débarquait sur les radars des amateurs et amatrices de pop chiadée, avec une paire de disques qui n’a plus jamais quitté celles et ceux qui ont eu la bonne idée de s’y intéresser. Et puis l’été dernier, c’est la maison d’édition Le Mot et le Reste qui mettait la pop italienne à l’honneur dans un ouvrage parfait pour faire votre écolage. Bien sûr, ces trois éléments ne suffisent pas à faire céder des portes que la scène italienne n’a même plus l’ambition de défoncer, mais ici, on a envie d’y croire car de belles choses à découvrir, cela ne manque pas. Et des artistes qui sont en train d’exploser, il y en a.
À ce titre, le cas de Giorgio Poi est emblématique de ce qui est peut-être en train de se jouer chez nos voisins transalpins, dans le droit fil du succès d’Andrea Laszlo De Simone. Comme lui, Giorgio Poi partage des racines piémontaises, mais tandis que l’auteur de l’un des titres les plus touchants de 2021 (« Vivo ») est resté attaché à sa terre natale, Giorgio Poi a passé son enfance et sa jeunesse à Rome, pour ensuite transiter par Londres et Berlin. Des pérégrinations qui ont forcément influencé sa musique, sans pour autant lui donner une coloration très originale : quand on écoute son Fa Niente en 2017 par exemple, on y entend de très belles choses certes, mais on y entend surtout tou·te·s ces artistes qui constituent la partie la plus visible de l'iceberg indie pop, de Tame Impala à Mac DeMarco en passant par Phoenix bien sûr – qui a régulièrement emmené l’artiste dans ses bagages, précisons-le. De la belle ouvrage il est vrai, mais qui n’avait aucune chance de se faire une place au soleil sur nos marchés déjà bien saturés en ersatz. Pourrait-il en être autrement avec Gommapiumma, son nouvel album sorti à la fin de l’année dernière ? On a envie de gueuler sur tous les toits que oui.
Premièrement, parce que plutôt que de se laisser porter par le vent le plus favorable du moment, Giorgio Poi a visiblement décidé d’assumer totalement un patrimoine et un héritage : celui d’une pop italienne chantée à gorge déployée, riche dans ses structures et généreuse dans les émotions qu’elle cherche à transmettre. Ainsi, exception faite d’un duo bien trop mielleux avec la chanteuse Elisa qui renvoie plutôt à ce que la pop de la botte peut produire de plus ennuyeux (là où un morceau comme « Giorni Felici » fait exactement le contraire), tous les autres titres de Gommapiumma évitent soigneusement le piège du maniérisme, de la composition trop lacrymale, trop émouvante, trop désireuse de capter notre attention par tous les moyens possibles. Et c’est dans ce calibrage parfait, où Lucio Battisti rencontre Sufjan Stevens, que l’on retrouve tout ce qui nous a fait tomber en pâmoison devant Andrea Laszlo De Simone, dont le travail doit intimider autant qu’il peut inspirer – et en ce sens, cela fait de Giorgio Poi son plus formidable disciple de cette fin d’année 2021. Pour un disque qui, on n’en doute pas un seul instant, va nous accompagner tout au long de l’exercice 2022 – et très probablement bien au-delà.