Going Strange
RJF
Ross Farrar est un homme occupé. Outre une formidable carrière au sein de Ceremony, sans conteste l'un des groupes de punk hardcore les plus influents de sa génération avec lequel il continue de tourner, l'homme a également eu l'occasion de lancer Spice en 2020, autre side project à l'origine de deux remarquables albums de post-punk racé. Ces dernières années, il a aussi pu publier des livres de poésie, obtenir un diplôme de lettres à l'université de Syracuse et vient de devenir père pour la première fois. Fascinante trajectoire qu'il agrémente désormais avec Going Strange, un album solo sorti sous l'alias RJF, sans label ni battage médiatique.
Conçu juste après les sessions d'enregistrement du Better Treatment EP de Spice, cet album voit Ross Farrar embrasser pleinement l'aspect minimaliste de sa musique tout en ne s'écartant que peu des moments plus mélancoliques entrevus dans ses précédents projets. Ne vous fiez pas ici à l'artwork qui présente son frontman durant les early days complètement chaotiques de Ceremony, il n'y a ici pas de place pour les traditionnelles zouaveries inhérentes au punk hardcore. Présenté comme une longue piste de 47 minutes sur Spotify mais découpé en 10 pistes sur Bandcamp, Going Strange apparait comme une longue boucle poétique, pleine de mélancolie et emprunte de la même atmosphère que ce qu'on avait pu entendre sur The L-Shaped Man de Ceremony, à l'époque où Farrar traversait une période sombre, dans la foulée d'une douloureuse rupture amoureuse. C'est d'autant plus surprenant de retrouver cette vibe cafardeuse alors que les choses semblent désormais s'être améliorées dans la vie de son créateur.
Musicalement, tout est réduit à son strict minimum avec des morceaux dont la base se compose de lignes de basse en loop et de l'apport très discret de quelques notes de synthé, de saxophone çà et là ou de la guitare gracieuse d'Anthony Anzaldo (également membre de Ceremony). Sa voix est ici totalement apaisée et vient délicatement se poser, non sans une pointe de réverbération, sur des instrumentales épurées qui ne sont pas sans évoquer les premiers travaux de son ami Glitterer (le projet solo de Ned Russin de Title Fight) ou ceux d'un King Krule pour l'inquiétante étrangeté qui peut parfois s'en dégager. Cette aventure solo devrait en tout cas attiser votre curiosité si les œuvres des artistes précités vous sont familières. A l'image du tournant plus assagi pris par Ceremony ces dernières années, Farrar explore ici une facette différente de son univers. L'auteur semble par ailleurs se sentir bien dans cette radicalité et ce minimalisme, sans donner l’impression d’être perdu ou désarmé.
Et c'est bien là finalement la vraie valeur ajoutée de ce Going Strange sur lequel RJF tire profit au maximum du concept d’album solo : Seul avec ses idées, il fait ce qu’il sait faire à savoir chanter, jouer de quelques instruments et le tour est joué. Une vraie bonne surprise donc que ce disque sans concession, qui ne se contente pas d'un fan service aux accents punk et qui ne prolonge pas forcément les élucubrations post-punk / synthwave entrevues sur les derniers albums de son projet principal mais dont on perçoit tout de même lointainement les racines musicales. Farrar offre ici “autre chose”, alors que c’est trop souvent ce qu’oublient de proposer des artistes qui veulent prendre congé temporairement de leur activité principale.