Godcaster
Godcaster
Il y a des injustices qu’on ne s’explique pas. Malgré un nom de groupe génial, un premier single d’une insoutenable efficacité, une vieille session Audiotree qui annonce un potentiel dévastateur et une rampe de lancement toute tracée par un revival indie rock bien dans l’air du temps, Godcaster n’est pas encore devenu « the next big thing ». À l’heure d’écrire ces lignes, on se demande encore comment la vidéo de l’imparable « Diamond’s Shining Face » peut plafonner à moins de 2.500 vues. Pire : un mois après la sortie de l’album, les 75 exemplaires de l’édition limitée en vinyle blanc ne sont toujours pas épuisés. Que foutent les algorithmes ?
Prenons le temps de remettre l’église au milieu du village : 2023 sera l’année de Godcaster. Avec sous le bras un deuxième album incendiaire, le collectif de Brooklyn n’attend qu’une chose : entrer en éruption sur la planète rock. Les 8 titres emballés en 45 minutes remettent au goût du jour une recette qui parlera autant aux nostalgiques des early 2000s qu’aux néophytes à la recherche d’un peu de fraîcheur dans une offre musicale trop souvent formatée : de la guitare cinglante, des parties vocales capables de basculer du spoken word aux beuglements incontrôlés en une fraction de seconde et des compositions qui prennent un malin plaisir à nous caresser à rebrousse-poil.
L’ensemble est solidement référencé. Comme souvent, le cultissime Spiderland de Slint (qui d’autre ?) s’inscrit en note de bas de page. Nos vieilles plumes se sentent obligées d’évoquer un temps où la scène rock indie débarquait en roue libre sur les scènes du Rhâââ Lovely Festival, une époque où il fallait imprimer sur Mappy un itinéraire foireux pour se taper des bleds comme Fernelmont ou Kontich et prendre sa dose de guitares crades portées par des fers de lance tels que 31knots ou Deerhoof. C’était il y a quasiment 20 ans, soit la durée traditionnelle des cycles dans la mode musicale. Néanmoins, ces six jeunes musicien.ne.s ont la mémoire qui remonte au-delà de 2003 et convoquent également un chapelet d’inspirations lorgnant plutôt du côté des 70s. C’est notamment le cas sur l’imparable « Deaths Head Eyes Hawk Moth » qui digère parfaitement les influences du Velvet Underground et Television sans tomber dans les excès de paresse déclassés des Black Angels.
Alors Godcaster, pure resucée de jeunes opportunistes prêts à recycler la collection de CD-R de leurs parents et de vinyles éraflés de papy et mamy ? Pas si vite. Ce serait nier l’originalité fondamentale du projet. La formule fonctionne ici à la perfection parce que le groupe ne se bride jamais : plutôt que singer passivement ses illustres prédécesseurs, la bande emmenée par un frontman charismatique et dont la ressemblance physique avec Marc Bolan est troublante, préfère enfoncer la pédale d’accélérateur là où la bienséance aurait recommandé un coup de frein maîtrisé pour négocier un virage en douceur. Cette fougue devient le fil conducteur d’un album qui flingue dans tous les sens. Hormis quelques digressions psychédéliques, ce deuxième disque a la trempe de ces albums qui en jettent et dont (presque) rien n’est à jeter.
Qu’un premier album correct et une poignée d’EP autoproduits échappent aux radars de la hype passe encore. Mais endossons aujourd’hui notre parure messianique pour réparer l’intolérable : cette année, Godcaster mérite d’entrer au Panthéon de ce qui se pratique de mieux en matière de rock bruyant sur la scène actuelle. Cette chronique n’a qu’une seule ambition : convertir vos oreilles impies.