God Is Partying
Andrew W.K
L’homme le moins classe du monde (ou tout du moins, celui qui se donne les moyens pour le paraître en chantant le vomi, le sexe sale et tout ce qui est inavouable) est aussi l’un des artistes les plus créatifs, foutraques et fascinants de son époque.
Mais de quelle époque parlons-nous ? Né artistiquement aux yeux du grand public en 2001 avec son premier album I Get Wet, Andrew Fetterly Wilkes-Krier, 22 ans, est alors apparu comme indigne représentant (mais représentant tout de même) de tout ce que New York avait alors à offrir de jeune, de cool, de pas très moderne (mais qu'importe) en matière de rock à guitares. Inutile de préciser qu'il n'a pas eu les honneurs de la presse dite respectable.
Pitchfork aimait les Strokes, Pitchfork aimait démolir ce premier album qui avait pour l’intelligentsia le défaut de ne chanter que la fête, le lâcher-prise, l’inconscience. “Party Til You Puke” ("Faire la fête jusqu’à vomir") ne pouvait être que l'œuvre d’un individu enclin à la dégénérescence. Et si lui ne prenait rien au sérieux, pourquoi perdre son temps ? Qu'il nous soit pourtant permis ici de rappeler une chose essentielle : le rock n’est rien sans son décorum. Le rock est, parfois, vulgaire, sanguin, inconscient, moche. I Get Wet, numéro un des ventes à sa sortie, ne raconte que cela : la face B, les coulisses, les envies tenues secrètes des apprentis stars du genre, les fantasmes entretenus durant des décennies, les clichés aussi.
Vingt ans plus tard. Pitchfork adore désormais Andrew W.K, tout du moins son premier album. Lui, nous n’en sommes pas si sûr·es. Dès The Wolf, en 2003, le natif de Stanford en Californie, a tenté de prouver qu’il n’était pas que le petit con qui se fracasse une brique contre le nez quelques minutes avant la photographie destinée à illustrer la pochette de son premier disque. D’ailleurs, The Wolf, c’est lui, et la photo qui orne l’album le montre diablement sérieux, peut-être en colère, tout du moins solitaire, et conquérant. Et un morceau de bravoure comme “Long Live the Party”, s’il creuse bien évidemment une obsession, n’en demeure pas moins l’une des compositions les plus dingues, la plus tonitruante d’une carrière qui commence alors à ne compter que cela.
Tout déraille en 2006. La version courte est la suivante : Close Call With Brick Walls, troisième album, paraît au Japon mais ne peut bénéficier d’une sortie convenable à cause d'une séparation antipathique avec son directeur de création. Un échec donc, également imputable à sa longueur (18 titres), à une folie mal contenue. Il en va de même pour 55 Cadillac, qui enchaîne des improvisations musicales au piano. Puis, on a tenté de suivre, sans forcément comprendre. Lui-même ne semblait pas heureux, clown devenu triste par la force du destin et des évènements. You’re Not Alone, en 2018, voulait sonner comme un retour triomphant, mais tournait à vide, malgré, toujours, quelques bons moments ou des instants rigolos.
2021. God Is Partying. Dieu, un fumeur de havane donc, et plus si affinité, selon un Andrew plus heureux que jamais, plus médiatisé aussi (cette année, il a demandé à sa petite amie, l’actrice Kat Dennings, en fiançailles). Est-ce à dire qu’il ne manquait dans sa vie qu’un petit coup de pouce en forme de coup de foudre ? Point de people ici, mais le fait est que son sixième album est, juste derrière le premier, puis le deuxième, très probablement le meilleur. Un retour en forme donc, selon la formule consacrée, qu’on ne se prive pas de le dire tant le plaisir est palpable, et contagieux. Pourtant, la première moitié semble documenter une certaine gueule de bois. Les riffs, sombres (mais bourrins), sont à l’image de textes comme “Your god is a liar / Deceive and desire / Knowledge eaten long ago” (sur “Everybody Sins”) ou, plus concrètement “Annihilate, annihilate, annihilate, turn me to dust”, sur le single “Babalon”. Ici, la solennité est choisie, la noirceur peinte d’une main qui n’hésite pas.
Concis (onze titres), God Is Partying fait le constat d’un échec, mais conscient, non subi. Maître de son destin, Andrew opte par la suite pour un virage complet, retrouvant la joie, la hargne, l’envie de célébrer, convoquant tout ce qui a plus (Meat Loaf) ou moins (Muse) de goût, se moque de lui, de tout, et se permet même de signer ce qui est aisément l’une de ses plus grandes compositions, “I Made It”. Oui, il l’a fait, il est redevenu, un temps, le petit con qu’il n’a sans doute jamais cessé d’être (sur la pochette, il s’est pissé dessus), tout en acceptant d’être aussi, partiellement, l’adulte qu’il ne pensait pas un jour devenir. Cela ne le rend que plus beau.