Go Fast
Agoria
Alors qu’on était sans nouvelle du Français Agoria depuis le très bon The Green Armchair, la sortie du film Go Fast annonce avec fracas le retour du producteur, signant pour l’occasion la bande originale du film précité. Une opération double puisque Go Fast OST s’affirme d’emblée comme un « vrai » nouvel album. Agoria se voit donc attribuer la lourde tâche d’imager le quotidien des go fasters, ces conducteurs un peu fous remontant à pleine vitesse les autoroutes d’Europe au volant de bolides montés comme des avions de chasse afin d’acheminer du haschisch par kilos. Avouez qu’on est loin des bons et joyeux sentiments qui habitaient The Green Armchair.
Mais à la surprise générale, Agoria va plutôt s’employer à briser l’image d’Epinal qui entoure ces fous du volant, pour montrer tout ce que les go fasters ne sont pas. Alors que le conducteur appréhende de long en large l’engin toujours rangé au garage, la tension monte et le rythme cardiaque s’accélère alors que des vocalises lyriques consacrent une atmosphère tendue de toutes parts (« Altre Voci »). Une fois sur l’autoroute c’est le pied au plancher que notre go faster entame sa course, une techno rutilante aux claviers acérés en guise d’unique compagnon (« Memole Bua »). Mais l’histoire (et les clichés qui l’accompagnent) nous ment et au détour d’une sortie d’autoroute, le go faster se paye le luxe de faire une pause quelques restoroutes plus tard, histoire de décompresser d’une soirée qui s’annonce longue. Bien aidé par « Dust », une techno pop orchestrée à souhait (et qui s’annonce comme un des tubes de cet hiver), le go faster prend le temps de déguster la nuit qui tombe, faisant fi des engagements qui le lie à son vilain employeur.
Deux pétards et un esquimau glacé plus tard (« Pending Between Two Worlds »), le go faster reprend paisiblement le chemin de la route, l’esprit embué et le sourire aux lèvres. Notre conducteur s’enfonce chaque fois un peu plus dans son siège baquet à mesure qu’ « Eden » use de ses charmes mathématiques : virevoltant sur des claviers empruntés aux légendes cosmiques de Detroit (Drexciya, Arpanet), cette ballade lunaire enchaîne les tournoiements ad nauseam dans un magma dub immersif au possible. Désormais confiné dans la chaleur étouffante de son habitacle depuis deux bonnes heures maintenant, le go faster cède à la tentation d’une bonne bouffée d’air frais, ouvre sa fenêtre au son de « Solarized », épopée techno groovy et chaleureuses aux accents soul, équivalent à mille seaux d’eau jetés sur la face de notre voyageur nocturne. Rien ne peut plus le surprendre, pas même une dernière ballade blues aux lignes de basses délicieusement chargées en échos et traversée par une batterie élastique.
Toujours est-il qu’après quatre heures de route, notre chauffard a parcouru moins de la moitié du trajet, l’heure tourne et la marchandise n’est pas près d’arriver à bon port. Le temps d’une prise de conscience rapide (« Go Fast »), le go faster retrouve son pragmatisme furieux et entame une course contre la montre désespérée pour rentrer à temps et à heure à l’entrepôt qui n’en finit pas de l’attendre. Un rush final qui fait hurler les chevaux de la belle cylindrée, heureuse comme jamais de pouvoir enfin dévorer à grande vitesse le bitume français (« Run Run Run »). Il reste quinze malheureux kilomètres avant d’arriver à bon port, le go faster sait aussi qu’il ne lui reste qu’une poignée de minutes pour mener son contrat à bien. Aussitôt dit, aussitôt fait, Agoria passe enfin la sixième dans une orgie de techno progressive (très proche des productions de Matzak) et arrive finalement à bon port. Comme si finalement, la meilleure technique pour éviter de se faire gauler avec cent kilos de résine dans le coffre était de respecter les limitations de vitesse. Pas con le mec pour le coup.