Gloss Drop
Battles
Le succès de Battles, c’est un peu la quadrature du cercle, la martingale. En effet, l'ex-batteur d’Helmet et de Tomahawk, le guitariste de Don Caballero, le guitariste de Lynx et le fils d’Anthony Braxton jusqu'à ce Gloss Drop : sur papier ça sentait le super groupe intriguant, mais arriver à squatter pendant plusieurs semaines (et encore maintenant soit plus de trois mois après la sortie de Gloss Drop) toutes les couvertures de magazines rock et l’essentiel de ce que compte la toile en webzines et blogs musicaux intéressants, vous avouerez qu’il fallait le faire. Et bien ils l’ont fait, et en plus avec un membre en moins, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la voix du groupe.
Ce que réussit à faire Battles, ce qui les rend si intéressants et « populaires », c’est arriver à produire une musique à la fois cérébrale et complexe, mais aussi extrêmement jouissive, sexy et oui, on peut le dire, dansante. En somme, une musique qui parle à la fois au corps et au cerveau. Sur ce deuxième album, la formule est reproduite avec succès, dans la continuité mais sans redite, et en prenant encore plus de risques : beaucoup d’instrumentaux, des guests que l’on n’imagine pas forcément poser leur voix sur cette musique (Kazu Makino, Gary Numan), et comme nous l’avons évoqué plus haut, la défection d’un des pivots du groupe.
Il est rare de sentir dans un groupe une telle osmose, qui nous prouve soit dit en passant que la démocratie dans un combo rock est possible et parfois même salutaire, même si l'on sent bien que John Stanier fait en quelque sorte office de clef-de-voûte. L’alchimie entre la frappe puissante et subtile de ce dernier, les recherches sonores de Ian Williams et le jeu géométrique de Dave Konopka fonctionnent à merveille sur les titres de Gloss Drop. Il n’y a donc pas grand-chose à redire sur cet album et on pourra cette fois reconnaître le bien-fondé de la hype qui a entouré sa sortie.
Si l’intro de "Africastle" nous laisse imaginer une mise en bouche planante et arabisante, il n’en sera rien : au bout de quelques instants, les secousses telluriques commencent et nous voilà partis pour 53 minutes faites de contrepieds et de rebondissements, à l'image de ce morceau qui passe par un riff rampant, un intermède jazz distordu avant de s'achever sur une plage plus ambiante, sans susciter d'indigestion. Les temps forts seront nombreux : "Ice Cream" où Matias Aguayo pousse des hallètements suggestifs sur un rythme enfantin à deux temps, "Futura" et son groove robotique imparable ou le ludique "Inchworm", sorte de bande-son sous acide d'un improbable film burlesque des années 20. "Wall Street" accélère ensuite le rythme avant "My Machines" où l'on constate que la voix de Gary Numan colle parfaitement à l'atmosphère du disque. Autres temps forts de l'album : l'insidieux "Sweetie & Shag" avec Kazu Makino de Blonde Redhead, l'épique "White Electric" et le final "Sundome" dans lequel ce bon vieux Yamantaka Eye nous livre ses imprécations sur un titre qui pourrait se décrire comme du Kraftwerk faisant un crossover entre dub et musique orientale.
Après l’écoute de Gloss Drop ce que l’on retient c’est l’énergie, brute et primaire, que parvient à dégager cette musique d’horlogers et de savants fous. C’est aussi sans conteste un des meilleurs albums de ces dernières années, arrivant à manier aussi bien machines, technologie, bidouillages en tous genres et instrumentation rock classique. En bref, l’hybridation dans ce qu’elle a de plus passionnant.