Girls in Peacetime Want to Dance
Belle and Sebastian
Belle and Sebastian fait partie de ces groupes qui ont une relation privilégiée avec leurs fans. Une relation de l’ordre de l’intime. Un de ces rares groupes qui aura accompagné ceux qui les auront découverts à leurs débuts d’une adolescence plus ou moins torturée au passage à l’âge adulte, comme une balise, un repère, une présence. Rarement on se sera autant lové dans des disques qui seront devenus de véritables fétiches, usés jusqu’à la corde et ravivant pourtant des souvenirs toujours aussi intenses. Ce fut souvent des rapports de l’ordre de la passion, celle qui nous fait dévorer l’œuvre d’un auteur ou d’un cinéaste qui va nous marquer à vie. Un choix qui fait partie de ceux qui forgent le goût, la personnalité, voire des choix de vie.
On l’imagine aisément, dans une histoire si longue (putain bientôt 20 ans!), il y aura eu des évènements marquants (le passage de Jeepster à Rough Trade puis Matador), des pertes (Stuart David et Isobel Campbell) et des incompréhensions (l’arrivée de Trevor Horn puis Tony Hoffer à la production). Pourtant avec le recul et le temps, on a tout de même affaire à une carrière exemplaire. Très peu de déchets, des albums et des maxis de légende, des périodes différentes et stylistiquement assez marquées, et surtout, surtout, le songwriting élevé au rang d’art suprême. On peut ne pas adhérer à cette musique, on peut la trouver trop maniérée, trop poppy, trop affectée, trop sensible, trop vieux continent, mais on ne peut objectivement nier trois faits : un talent mélodique hors pair, une écriture du même acabit et un don pour les arrangements dont beaucoup aimeraient avoir hérité. Oui avec le recul on peut vraisemblablement considérer que Stuart Murdoch a acquis sa chaire de maître de conférences dans la même université que Morissey ou Ray Davies.
Girls in Peacetime Want to Dance, ce huitième véritable album, marque d’une certaine manière une nouvelle étape, une volonté affirmée de Murdoch de s’approcher de son idée d’une musique se voulant populaire, héritière des machines à tube que furent le Brill Building, les productions de Phil Spector ou la machine ABBA. Une musique populaire ambitieuse, faite par des personnes pour qui les chansons et la production étaient envisagées certes comme une industrie mais avec un savoir-faire artisanal et surtout une réelle envie de proposer des productions de qualité et pas seulement de l’habillage sonore. Une idée assez élevée du divertissement et de l’art populaire en somme.
Sur le papier, Belle and Sebastian a un certain nombre d’armes pour arriver à mener à bien cette gageure. Le problème, c’est que Murdoch sous bien des aspects est un enfant du XXème siècle et qu’il raisonne et joue avec les outils de la fin du siècle dernier. Il ne s’adresse donc finalement qu’aux enfants de sa génération de la même manière que lorsque ré-évoquer certains dessins animés d’enfance dont nous tairons ici le nom fera toujours son effet sur les trentenaires et quarantenaires. En soi, est-ce réellement un problème (ce que semble suggérer la piteuse chronique de Pitchfork, qui n’a toujours rien compris au génie de ce groupe) ? Est-ce que l’on reprocherait aux Kinks d’avoir sorti The Village Green Preservation Society en 1968 ? Certainement pas. Peut-on reprocher à un album d’être anachronique ? Peut-être, mais cela n’en fait pas pour autant un mauvais album. Des albums hors de leur temps, complètement déphasés, et pourtant devenus des chefs d’œuvres, on en compte pas mal d’exemples. On peut remettre les choses en perspective et dans leur contexte, expliciter les intentions mais ne pas en oublier pour autant l’essentiel. Là où se situe le curseur qualité : est-ce que l’album tient la route ? Et bien ici la réponse est : « oui mais ».
« Oui » car les morceaux sont bons, le schéma narratif et le concept de l’album se tient. On se laisse aisément prendre par les textes, toujours aussi brillants, les mélodies et les arrangements, toujours très soignés. Le « mais » viendra d’une part de la production (signée pour la première fois par Ben Allen III). On ne crache pas dessus attention, elle sied bien aux intentions du groupe. On regrette peut être en revanche le décalage entre les morceaux plus 'dansants' et ceux plus 'classiques'. Les productions de Trevor Horn et de Tony Hoffer même si elles en avaient laissé un paquet sur la route (et en avaient aussi rameuté un paquet d’autres) avaient le mérite d’avoir très bien intégré la culture du groupe et de l’avoir merveilleusement ouverte à des aspirations qu’il ne s’était pas permis jusqu’alors. Ici, on est un peu moins convaincu par moments et on devine que Girls in Peacetime Want to Dance ne restera pas comme un des sommets du groupe, mais plus une étape comme avait pu l’être Storytelling d’une certaine façon. Un moyen de tester certaines choses, de voir si l’on est capable, de se faire plaisir aussi sans doute. Un plaisir que l’on partage, on ne va pas bouder son plaisir. Mais pour ressentir le grand huit un soir de grande déprime hivernale ou d’euphorie solaire printanière, on préfèrera plutôt se tourner vers Tigermilk, The Life Pursuit ou This Is Just a Modern Rock Song.