Funeral
Lil Wayne
La tracklist de Funeral est composée de 24 pistes dont la huitième se conclut par 24 secondes de silence. L’hommage au regretté Kobe Bryant est donc plutôt explicite sur ce nouveau LP de Lil Wayne, dont la pochette laisse par ailleurs apparaître le blaze du rappeur une fois retournée à 180°. Et même si tout cela est franchement sympathique, une seule question importe vraiment : en 2020, Dwayne Michael Carter Jr. a-t-il encore les ressources suffisantes pour arriver au bout d'un album de 76 minutes sans finir en PLS ? La réponse est d’une tristesse évidente.
Et pourtant. Et pourtant, ce douzième album studio débute sur les chapeaux de roue et laisse penser que l’autoproclamé best rapper alive est de retour à son meilleur niveau : « Funeral » nous captive immédiatement par son ambiance dramatique et lugubre ; puis sur une production bestiale de Mannie Fresh, Lil Wayne lâche les chevaux sur « Mahogany », une énorme claque portée par des envolées lyriques d’un autre monde qui nous laisse totalement groggy, comme au bon vieux temps. On pourrait même étendre ces louanges aux deux pistes suivantes, le bouillonnant « Mama Mia » et le sensationnel banger « I Do It », sur lequel Big Sean livre une prestation XXL – ce qui est assez rare pour être signalé. Oui, malgré un cerveau qui a trop longtemps baigné dans le sizzurp, Lil Wayne parvient contre toute attente à nous faire vibrer.
Mais comme il fallait s'y attendre sur un disque d'une longueur injustifiable, l’excitation initiale laisse progressivement place à l'agacement ou à l'ennui. Que ce soit le déconcertant « Dreams » - sur lequel Lil Wayne semble pousser la chansonnette avec ses testicules coincés dans un étau - ou encore « Clap For Em » - un strip club anthem nonchalan qui n’est qu’un copié-collé paresseux de son précédent single « Uproar » -, la baisse de régime est progressive et tire irrémédiablement le disque vers les tréfonds de notre indifférence. Fatalement, dès la seconde écoute, on se surprend à faire l'impasse sur la majeure partie de l’album. « Stop Playing With Me », « Never Mind », « Wild Dogs », « Not Me », « Bastard »... il n'y a qu'à se pencher pour tomber sur des titres qui ne racontent rien, qui ne seront jamais joués en concert et dont même Lil Wayne ne se souviendra plus en 2021. Même le tonton 2 Chainz ne parvient à nous sortir de l'étouffante torpeur qui asphyxie l'album, c'est dire.
Que faut-il alors retenir de ce douzième LP de Lil Wayne ? Probablement que tel un Michel Drucker de ce rap jeu, le MC de 37 ans continuera à rapper jusqu’à son dernier souffle, que ce soit par passion, par ennui ou par pure avidité financière. Cette dernière piste est tout de même largement privilégiée car, si des dinosaures du rap comme Eminem continuent à sortir des albums en 2020, c’est clairement pour tirer le maximum de leur force de frappe commerciale encore intacte après deux décennies de carrière ininterrompue - en effet, sans grande surprise, Funeral et Music To Be Murdered By se sont aisément hissés au sommet des ventes.
Businessman avant tout, cela fait très longtemps que Lil Wayne n’en a strictement plus rien à foutre de l’image qu’il renvoie – il s’est d’ailleurs récemment tapé l’affiche en participant à l’émission The Masked Singer déguisé en Bender sous codéine, gigotant sur une reprise malaisante de « Are You Gonna Go My Way ». Ainsi, à défaut de conquérir le cœur de millions de fans, ce nouveau disque permettra au moins de remplir sa piscine et les caisses du label ; une finalité bien triste et affligeante pour l'une des légendes vivantes du rap américain.