Frozen Niagara Falls
Prurient
Que ce soit avec Prurient ou Vatican Shadow, la musique de Dominick Fernow a toujours eu le cul entre deux chaises : trop hardcore pour les amateurs de techno et d’electronica, pas assez violente pour les amateurs de noise. Une entité difficile à cerner qui passe sa carrière à naviguer entre les lignes du plus ou moins extrême, à ingurgiter les codes, à les malaxer, les entremêler pour les révéler sous des formes diverses. Si le succès de la recette fait un tabac dans les milieux un peu snobs de la ville, nous devons à la vérité d’accorder au New-Yorkais un incroyable talent d’écriture et une place de mastodonte dans le Hall of Noise. Mais au-delà des dithyrambes et des jeux de mots, on est toujours dans l’attente du vrai grand-chef d’œuvre de l’Américain, celui qui sera enfin à la hauteur des talents du personnage et qui nous permettra de ne plus avoir à argumenter comme des blogueurs parisiens à chaque fois que son nom est évoqué.
Quand Frozen Niagara Falls débarque, on sent rapidement dans l’air que quelque chose est sur le point de changer: le soleil se fait la malle plus tôt que prévu et tes potes se mettent à faire le cri du loup sans raison apparente. C’est l’heure du cassage de gueules, de la grande retrouvaille avec la peur et les nuages d’électricité. Ce double-disque, massif et sculptural, c'est l’histoire d’un carton assuré. Seize cathédrales sonores absolument terrifiantes de beauté, d’implications physiques et mentales. Le produit, lui, est volage et ne se refuse aucune incursion dans des genres que rien ne semblait amener à cohabiter: batteries cliquées, synthés ambient-trance de l’espace, pluies de feu et d’acier, rugissements harsh-noise à la Russel Haswell, improvisations laptop made in Editions Mego, écriture power-electronics digne de Whitehouse, mélodies post-acid pour les fans de µ-Ziq et Aphex Twin, chant amplifié terrifiant, attitudes quasiment black metal et arpèges de guitares qui puent le pagan-folk. Ça semble dégueulasse sur le papier mais, les vrais le savent déjà, la construction est folle, sensible, touchante dans sa détresse.
Le produit peut paraitre brutal d’entrée de jeu, et pourtant, ce Prurient-là n’a jamais semblé aussi abouti et prêt à offrir son œuvre définitive à qui veut l’entendre. Un artiste viscéral, triste et, surtout, infiniment vivant, qui se vide littéralement sur cette double plaque comme si sa vie était en jeu. Un disque incroyable dans sa capacité à étendre l’espace, à recomposer simplement les émotions véritables, à faire entrer la lumière partout malgré l’ultra-violence (relative) et l’électricité permanente du propos. Un disque d’auteur, infini et incontournable. Peut-être le plus grand sorti ce semestre. Chapeau bas.