Front Row Seat To Earth
Weyes Blood
J’avais dit que c’était fini. Après ma récente chronique du disque de Bur Gur, j’avais tellement crié partout ma méconnaissance de la musique pop que j’étais devenu un mec prêt à tout prendre musicalement, à m’extasier follement sur des choses simples. Juste le temps d’un album, histoire de mieux repartir sur des choses inécoutables - et surtout impossibles à partager sainement.
Sauf que voilà, là où une recommandation Bandcamp m’avait pris en traître la fois passée, c’est cette fois mon ami de toujours (et accessoirement rédacteur en chef) qui m’a tendu ce nouveau bâton pour me faire battre. Un disque partagé à la va-vite qui est devenu en très peu d’écoutes un espèce de totem complètement sculpté dans ma tête. Mais ce serait aller trop vite.
Ne connaissant rien et espérant défendre ma toute nouvelle street cred de jeune gendre indé, j’ai tenté des recherches sur internet à propos de Weyes Blood. Parce que finalement, je n’ai que trois possibilités ici : faire des blagues et occuper l’espace ; me renseigner et m’acheter une tenue de spécialiste au marché ; ou improviser – éventuellement parler à mon amie Clare Louise pour un apprentissage rapide, en espérant que ça fasse mouche. Ce sera probablement un peu des trois. Je clique et je vois.
Deux papiers complètement lunaires arrivent en tête de liste, étiquetés institutionnels avec ça : là où le premier s’excuse de devoir présenter un nouveau chef-d’œuvre après un quart d’heure sans dithyrambes sur la page Facebook de son média (« sans exagérer, Weyes Blood a sorti un des plus beaux disques de ces dernières années »), le second ne sait plus trop où il doit se situer par rapport à ses sentiments au moment de faire le tri (« Front Row Seat To Earth, l’un des deux ou trois plus beaux albums entendus cet automne » – commencé il y a deux mois, ndlr), il y a une place gigantesque pour le bullshitage de journaleux.
Je continue la lecture, les chiures des Inrocks ou de Libération (<3 pour Olivier Lamm quand même) n’auront pas raison de ma volonté d’aimer ce disque pour ce qu’il est et d’en parler bêtement. J’apprends que Weyes Blood serait une réincarnation de la folk des 70’s, une fille imaginaire de Joni Mitchell ou de Judee Sill – là où mes références de beauf alpha et inculte se limitaient à Sharon Van Etten et Lana Del Rey. Les mecs finissent par parler de choses aussi enlevées et troublantes que peuvent être Broadcast et Laurel Halo, ça commence à me parler forcément. Si tu suis le communiqué de presse sur Bandcamp, ça devient Star Wars.
Alors que, pour parler honnêtement, ce Weyes Blood c’est un putain de beau disque. Simple, sobre (enfin pas tant que ça dans la production) et abyssal. Une ode primale, fière d’être triste et de chanter des choses viscérales. Ici, il n’y a aucune place pour les théories fumeuses et les élaborations lointaines, Weyes Blood transcende même l’idée d’un papier sensé. Et ça fait beaucoup de bien. Front Row Seat To Earth est un disque de folk harmonique tellement ancré, qui parle tellement de difficultés de la vie 2.0 avec un charme moyenâgeux que les papiers suscités ont juste vocation à être honteux, démasqués et finalement premiers coupables de ce que l’Américaine dénonce avec le cœur dans la main et les accords dans le vent. Bref, c’est le disque folk de l’année et c’est un mec qui n’y connait rien qui vous le dit.