Freebase 4
Kekra
Le problème quand on est doué, c’est qu’on a tendance à se laisser aller. On se dit qu’on a le droit d’y aller au talent, et qu’il suffira de se retrousser les manches au moment de se faire pardonner une erreur de parcours. Avec son look de superhéro tout droit sorti d’un shonen, Kekra est en plein dedans : si Vréel 3 avait sublimé le caractère tout terrain du rappeur, Land loupait le coche en proposant un disque coloré et pop qui diluait sa personnalité unique, mais réussirait néanmoins à le faire aimer d'un plus large public – comme TTC avec 3615 TTC, pour ceux qui se rappellent. Il a fallu attendre la sortie de Vréalité l’an passé pour le voir revenir sur un album parvenant enfin à concentrer ses obsessions trap et grime et à maintenir une réelle unité d’un bout à l’autre.
Avec ce retour en grâce, on a fini par comprendre combien Kekra avait conscience de son talent, et à quel point cela devenait problématique.Entre les mixtapes, les albums, les inédits Instagram (!) et les freestyles, on sent depuis quelques temps qu’il multiplie les cibles en se disant qu'il finira bien par toucher la cible ; ensuite et surtout parce qu’il abuse d’une fanbase qui lui pardonne tout, trop aimantée par son charisme pour prêter attention à la réelle qualité de ses morceaux. Un constat qui se vérifie à la perfection avec le quatrième volume de la série Freebase, celle-là même qui a révélé au grand jour le potentiel de l’Alto Séquanais en 2016, et qui risque encore de cartonner sur les plateformes de streaming. Pourtant, là où ses pérégrinations à Dubaï, Tokyo et Londres laissaient à penser que le rappeur réussirait à élargir son spectre, Freebase 4 ressemble plutôt à une version light de ses précédents succès, plombée par un certain manque d’audace.
Car l’effusion d’idées neuves qu’il réservait jusqu’alors au format mixtape est ici réduite à peau de chagrin, Kekra préférant renouer avec les ambitions tubesques de Land. La majeure partie de Freebase 4 tire en effet profit de sa science du hit, lorgnant souvent à l’excès sur le terrain de Travis Scott. Si quelques titres dans la continuité de Vréalité viennent relever un peu le niveau ("Non" ou "Devise"), le reste de la mixtape se joue le plus souvent en pilote automatique : c’est suffisamment efficace pour qu’on ne sombre pas dans la fainéantise pure, mais on sait Kekra capable de faire tellement mieux - forcément, c'est frustrant. D’autant plus qu’il donne l’impression de ne jamais se montrer expansif, offrant des morceaux qui sonnent avortés ou tout simplement ratés, comme "Anything", probablement l’un des titres les plus pénibles jamais pondu par le rappeur masqué.
Finalement, dans toute la séquence entourant la sortie de Freebase 4, on se demande si on ne retiendra pas plus volontiers son beef avec Ateyaba/Joke, lui qui aurait supposément exposé le visage du rappeur sur Twitter le soir de la sortie de ce nouveau disque. D’ici à ce qu'on sache si le MC de Montpellier attend le leak de son propre album pour enfin se décider à le sortir (on l’attend depuis 2014 quand même), un seul constat vaut : Freebase 4 est un non-événement total à mettre au passif de son rival des Hauts-de-Seine. S’il n’y pas encore de quoi perdre espoir, on espère voir Kekra réactiver rapidement le savant fou qui sommeille en lui, et mettre un peu de côté son capital cool pour enfin remettre la musique au premier plan. Pour l’heure, les fans de Kekra sont heureux : ils pourront profiter de cette période de pandémie pour imiter leur idole en arborant un masque FFP2 sur leurs stories Instagram. En voilà une promo qui a escaladé rapidement.