Fragrant World

Yeasayer

Secretely Canadian – 2012
par Romain, le 19 septembre 2012
7

Je me souviens de mon premier contact avec la musique des Yeasayer. On était au milieu de l’après-midi, j’avais une gueule de bois épouvantable et un examen à préparer dans l’urgence. La situation était propice à une séance de procrastination coupable. J’entrepris donc de dessiner ce qui me passait douloureusement par la tête dans MS Paint, aidé par une tasse de thé et un cachet d’aspirine. Alors que mon attention était monopolisée par ma composition de ronds rouges sur fond blanc, le hasard des radios internet propulsa « Wait for the Wintertime » de All Hour Cymbals dans l’air ambiant. S’en suivit un intense moment mystique lors duquel l’unique pensée qui traversa mon esprit embrumé était focalisée sur ce que j’entendais et sur les gribouillis informes qui recouvraient mon écran : « Mais qu’est-ce que c’est que ce b… ?! » Crise existentielle, atermoiements, bris d’objets divers… Je repris finalement le contrôle de ma vie et échouai à mon examen, ayant découvert dans l’intervalle le merveilleux n’importe quoi des Yeasayer.

Cette musique en dérapage contrôlé permanent est probablement la raison pour laquelle on a beaucoup parlé des Yeasayer comme des enfants prodiges d’Animal Collective et de TV On the Radio. Puisant leurs influences dans le grand tout de la world music et de la new wave, ils nous servent un mélange de genres absolument inclassable. Pour l’exemple, si vous avez un jour joué avec tous les boutons du synthétiseur bon marché familial, vous avez sans doute émis des doutes sur la viabilité musicale de certaines sonorités produites. Qui pourrait composer quoi que ce soit d’indégueulable avec  « Sitar IV »  ou  « Congo Bongo II » ? Les Yeasayer, justement, sont tout à fait capables de telles prouesses. Mais ce mélange de sonorités improbables n’aurait aucun intérêt s’il n’était pas maîtrisé un minimum. Et c’est là que les New-yorkais font des miracles. Malgré l’incongruité du matériel, chaque titre passe comme une lettre à la poste. L’exercice d’alchimie, exécuté à la perfection, donne naissance à des petits bijoux aux allures pop qui se laissent avaler tout rond. Pour le néophyte, « Tightrope » et « Sunrise » en sont de très bons exemples.

Malheureusement, ce qui se laisse avaler aussi facilement a la fâcheuse tendance à se laisser aussi vite oublier. C’est la raison pour laquelle on en avait d’ailleurs voulu à Odd Blood, sympathique album au demeurant mais un peu pompeux et sans surprise. On aurait bien aimé être un peu plus secoués, ou au moins être aussi agréablement bercés que sur All Hour Cymbals. Les attentes autour de Fragrant World étaient donc assez élevées. Dans une ligne moins artisanale que ces prédécesseurs, ce troisième opus va pomper l’essentiel de ses ressources dans l’electronica (« Reagan’s Skeleton ») et le R’N’B (« Fingers Never Bleed »). La prise de distance avec la pop psychédélique des MGMT et autres Chairlift est beaucoup plus marquée. C’est désormais le beat qui règne en maître sur la galette et le groupe a laissé nettement moins de place aux bricolages (« Demon Road » semble être le seul survivant). Le tout est encadré par une production mature, plus sensible aux attentes du public. De là à dire que la moitié de la plaque est diffusable, il y a de la marge, mais la volonté de faire coller certains titres aux oreilles est tout à fait palpable (« Longevity »).

Pourtant, Fragrant World ne fera pas l’unanimité. Comme son prédécesseur, celui-ci sait se montrer putassier à ses heures. A trop vouloir se vendre, il finit par s’engoncer dans la guimauve – chœurs sirupeux et vocoder en tête. Même si on observe un progrès appréciable dans les sources exploitées, ce troisième opus n’atteindra pas les sommets de All Hour Cymbals. Donc chouette, mais peut mieux faire.

Le goût des autres :
7 David