Forever In Your Heart
Black Dresses
Selon de très sérieux calculs, les trois choses les plus agaçantes sont les fandoms toxiques, TikTok et la voix de Morrissey. Et ce n’est certainement pas Black Dresses, duo électronique et expérimental de Toronto, qui va venir contester cet état de fait.
L’an passé, quelques semaines seulement après avoir sorti leur excellent album Peaceful As Hell, Ada Rook et Devi McCallion annonçaient officiellement la fin du groupe. Les raisons ? Le harcèlement incessant des fanatiques beaucoup trop zélés envers Devi et l’explosion virale involontaire d’un de leurs anciens titres sur TikTok. Voir une bande d’ados en cosplay danser sur un titre référençant une agression sexuelle subie enfant a de quoi faire tiquer. Black Dresses a donc malheureusement décidé d’arrêter les frais, au grand désarroi de la musique électro/indus/metal/expérimental dissonante.
Que vient foutre Morrissey là-dedans ? Rien. Je veux juste qu’il sache qu’il ne sera jamais à l’abri de mon fiel et de mon venin. Forever In Your Heart est donc arrivé à point nommé pour la Saint-Valentin – véritable album surprise sorti de nulle part. Les spéculations vont bon train : synonyme de résurrection du groupe ou chant du cygne ? Finalement, la réponse importe peu. Ce qui compte, c'est que le duo ressurgit dans une déflagration viscérale probablement ressentie jusqu'aux plus lointaines planètes du système solaire.
Ada et Devi ont toujours utilisé une cohésion parfaite entre une hyperpop noisy et de l'heavy industriel. Sauf que pour leur cinquième LP, elles ont tourné le volume de la violence sonore à 11. Le refus de compromis et la volonté de polariser sont tous deux élevés au rang d'Art. Cette intransigeance prend sa source dans le combat quotidien que représente le fait d'être une femme transgenre. Allié et fer de lance au sein de la musique expérimentale du mouvement LGBT, Black Dresses instille dans les quinze titres que constitue l'album un impact émotionnel palpable. Si Peaceful As Hell suintait la positivité, Forever In Your Heart embrasse un aspect plus sombre des personnalités des deux musiciennes.
Le combo "PEACESIGN!!!!!!!!!!!!!!!!!" et "Concrete Bubble" – deux de leurs compositions les plus démentes à ce jour – instaure d'entrée de jeu le climat d'hostilité qui va durer 45 minutes. Tout l'ADN du disque est concentré ici : un son métal, centré autour des guitares, âpre, moins catchy que ses prédécesseurs. Les mélodies entraînantes sont délaissées ici pour laisser place à une entreprise de démolition méthodique à grand renfort de gueulements et de gémissements autotunés. Les Torontoises vivent également par l'adage célèbre et respectable "distorted and weird as fuck electronics is best electronics".
Il ne faudrait tout de même pas croire que le groupe a perdu de son allant pour pondre des airs entêtants et – j'ose le dire – enchanteurs à en braire. Prenons par exemple "Heaven" qui passe brusquement de banger hardcore à un chorus synthés-friendly ultra planant où les harmonies vocales brillent. C'est sur ce genre de morceau qu'on peut se rendre compte du brio et du soin apportés à la production de l'album. Talent que partagent d'ailleurs également les représentants de l'hyperpop en furie comme 100 gecs ou Dorian Electra.
Une chose est sûre, split éternel ou non, l'alchimie entre les deux artistes franchit encore une nouvelle étape. L'aspect lo-fi DIY jusqu'au bout des ongles et faussement amateur de "Waiting42moro" et les interludes fendards de "Silver Bells" ou "Ragequitted" donnent au projet une dimension spontanée, intégrant chaque compo dans un flow naturel. Si c'est bien là leur ultime révérence, le groupe aura réussi à proposer un dernier album synthétisant parfaitement l'ensemble de leurs qualités. Black Dresses sera en tout cas FOREVER IN MY HEART wink wink.