Forced Witness

Alex Cameron

Secretly Canadian – 2017
par Quentin, le 20 septembre 2017
7

Vu de l'extérieur, la loose serait presque belle. Facile à romancer, parfois rocambolesque, la défaite possède un capital empathie indéniable. On trouve chez les losers une dose d'humanité qui nous rassure, quelque chose qui nous prouve qu'on est tous fait de la même matière. C'est sans doute un peu pessimiste comme vision des choses mais on fait partie de ces gens pour qui les heureux perdants seront toujours plus séduisants que les mecs dont le succès était écrit depuis le début. Et à ce titre, s'il y en a bien un qui mérite tout notre amour, c'est Alex Cameron.

À l'image d'un personnage de série b, tout dans Alex Cameron pue le kitsch et le revival d'une époque révolue. Et pourtant, l'artiste dégage quelque chose de sincère et d'intriguant, à commencer par sa dégaine dégaine creusée et longiligne qu'il faut placer quelque part entre Derrick et Dracula. Mais réduire ce dandy australien à un copié-collé d'un autre temps serait réducteur, voire insultant. Car au-delà d'un look qui pose question, il y a l'univers et le parcours d'un mec qui va de faux plans en faux plans. Et puis surtout, il y a la détermination fataliste de Cameron qui l'amène à être le seul à croire en sa bonne étoile alors que tout le pousse à écourter une misérable carrière. D'où la sincérité dont on vous parlait plus haut. Comme une photo vaudra toujours mieux qu'un long discours, jetez donc un œil à ce qu'était Alex Cameron il y a quelques années.

Avant de sortir en 2016 sur le très respecté Secretly Canadian, l'album Jumping In The Shark a vu le jour gratuitement sur un site 1.0 sur lequel Alex Cameron forçait le trait du loser qu'il était. Et comme si le fait d'assumer sa condition changeait son statut, c'est précisément à cet instant que la tendance a tout doucement commencé à s'inverser. Belle ironie qu'on pourrait croire anticipée lorsqu'on écoute des titres comme "Happy Ending" ou "Take Care Of Business". Un dénouement finalement positif pour une histoire mal embarquée et qui en plus de tout permet à Cameron de revenir avec une mentalité plus affirmée. Ce qui nous amène à parler de son nouvel album et de son titre évocateur, Forced Witness. "Forced Witness" d'un artiste duquel on a trop souvent détourné le regard mais aussi forced witness d'un monde en totale décadence - c'est cette version qui est défendue par le label.

Moins sombre et plus riche musicalement, cet album présente le spleen d'Alex Cameron sous un autre jour. Les thèmes ne sont pas plus joyeux mais tout est dans la manière de les présenter. Si les textes parlent d'amour, c'est pour mieux nous faire comprendre tout ce qu'il n'est pas - le clip de "Stranger's Kiss" avec Angel Olsen est assez édifiant à ce propos. Accompagné de Roy Molloy au saxo, l'ambiance globale à ça de juste qu'elle a beau être kitsch, elle ne devient pas pour autant écœurante. L'énorme titre d'ouverture "Candy May" plante le décors d'un Alex Cameron qui s'assume comme un crooner anachronique, et tous les autres morceaux nous dévoile une nouvelle facette de cette mise en scène. Le point d'orgue est atteint lors de l'enchaînement "The Chihuahua" et "The Hacienda" où on sent l'artiste plus à l'aise que jamais dans son rôle de lover tout droit sorti d'une pellicule jaunie des années 70. 

A l'inverse de l'endroit où il a été enregistré (une ancienne radio du bloc est de Berlin), Forced Witness respire l'espoir. Lorsqu'en 2016, grâce à Foxygen, il fut repéré par Secretly Canadian, Alex Cameron déclara que les choses allaient changer, qu'il était temps de laisser de la place au showman qui sommeille en lui. Après avoir tourné avec Mac DeMarco, Kevin Morby ou Unknown Mortal Orchestra, on se dit qu'il aurait difficilement pu voir plus juste. 

Le goût des autres :
7 Victor 7 Alexis