For the first time
Black Country, New Road
Non, le rock n’est pas mort, il est même fort probable qu’il se portera toujours comme un charme quand tous nos lecteurs seront occupés à bouffer les pissenlits par la racine. Par contre, à l’inverse du rap ou de la musique électronique, il lui est compliqué de se réinventer - parce que soyons honnêtes, en la matière, tout avait déjà été dit à la fin des années 70, et tout ce qui a suivi n’aura été que réappropriation. Aussi il faut arrêter de claironner que le premier groupe qui sort un bon disque avec des guitares dedans va « sauver le rock ». Donc non, Black Country, New Road ne va pas sauver le rock. Par contre, le groupe anglais va l’aider à péter la forme.
Pour l’époque dans laquelle il s’inscrit, Black Country, New Road est un groupe important. D’abord, le simple fait qu’une formation que l’on compare souvent à Slint et Shellac se retrouve aux côtés de Bicep ou Actress sur Ninja Tune en dit long sur les espoirs placés en elle, et la conviction qui anime tout un pan de l’industrie que ce genre de musique-là est destiné à revenir sur le devant de la scène – d’ailleurs, Warp, comme à l’époque où ils signaient !!! et Maxïmo Park, ont de leur côté recruté un autre groupe proche de BCNR, Squid. Et ce n’est pas un hasard si l’on met ces deux noms en parallèle : ce sont des rejetons des studios Speedy Wunderground et de leur gourou Dan Carey. C’est à ses côtés qu’ils se sont formés, c’est sous sa houlette que leur caractère s’est affirmé, et c’est sur son label que les titres qui leur ont permis de voguer vers d’autres cieux sont sortis.
Fort de cet écolage, Black Country, New Road exporte sa formule alambiquée sur un label dont la visibilité et les réseaux vont pouvoir avoir un effet multiplicateur bien utile, en ce sens que cette musique-là, c’est bien avec le plus grand nombre qu’elle doit être partagée. Car malgré une formule à base de post-rock, d’art rock et de free jazz, soit trois genres musicaux qui sont plutôt l’apanage du lecteur de Wire Magazine que celui de Femme d’aujourd’hui, Black Country, New Road propose un produit dont l’immédiateté fait passer au second plan tous les préjugés que l’on pourrait avoir sur ces montagnes russes émotionnelles dont le respect pour les structures habituelles est similaire à celui d’un teufeur pour les arrêtés préfectoraux. For the first time, ce sont six titres certes, mais en réalité, c’est avant toute chose un ensemble extrêmement poreux – les pistes semblent se répondre, les idées s’entremêler et la narration perdre toute logique, pas aidée il faut bien le dire par un chanteur possédé et un saxophone à qui l’on a demandé de ne rien respecter.
Bestiole dont la taille imposante et les formes cabossées peuvent effrayer, ce premier album du groupe anglais impressionne par la maturité insolente qu’il affiche, l’énergie brute qu’il parvient à transmettre, et la rigueur avec laquelle ses différents membres s’astreignent à donner du sens au chaos qu’ils provoquent. On vous le répète une dernière fois, non, le rock n’est pas mort. Mais si son cœur venait à s’arrêter de battre, soyez-en sûrs : For the first time sera la dose d’adrénaline dont il aura besoin pour repartir.