Flying Microtonal Banana
King Gizzard & the Lizard Wizard
La scène garage-psyché n'aura jamais eu autant le vent en poupe qu'en 2017, mais son gros problème se situe probablement au niveau de ses deux protagonistes les plus visibles : depuis qu'ils sont apparus sur les radars, Thee Oh Sees et Ty Segall ont sorti 12 et 9 albums respectivement - un chiffre qui exclut la chiée d'EP's, les disques sous pseudo, les projets parallèles et les compilations. En gros, à eux deux, les Californiens phagocytent le devant de la scène et offrent un panorama assez bouché aux nouveaux-venus ou aux personnes qui n'ont qu'un temps limité à consacrer à la mouvance.
Et si le succès est amplement mérité, il empêche de facto de nombreux groupes d'exister autrement qu'auprès des convaincus. Deux gros putain d'arbres qui cachent donc une belle forêt dans laquelle un groupe comme King Gizzard & the Lizard Wizard commence à prendre pas mal de la place. Il faut dire qu'à l'image des deux formations susmentionnées, les Australiens ont une tendance au stakhanovisme. Mais ils se démarquent par un amour de la variété (ça ne veut pas dire qu'ils adorent Hervé Villard, mais qu'un nouvel album ne ressemble jamais au précédent) et un certain sens du concept - leur petit dernier, Nonagon Infinity, était un album en forme de boucle infinie où chaque morceau s'achevait sur l'introduction du suivant tandis que tous les titres de Quarters faisaient 10 minutes et 12 secondes.
Et donc, un an après un Nonagon Infinity, qui avait pécho de la note maximale sur ces pages, revoilà la bande de Melbourne avec un disque qui se veut lui aussi conceptuel : pour enregistrer Flying Microtonal Banana, le gourou Stu McKenzie a fait l'acquisition d'une guitare customisée lui permettant de jouer sur les micro-intervalles - des intervalles musicaux plus petits qu'un demi-ton. Et, histoire que tout le monde puisse le suivre dans son délire, il a refilé 200 boules à ses coreligionnaires pour qu'ils adaptent eux aussi leur instrument. Ajoutez à cela l'utilisation d'un instrument traditionnel turc du nom de zurna et vous avez un disque qui sent bon l'expérimentation et la nouveauté. Ben non en fait.
Aussi intéressante puisse-t-elle être, la trajectoire empruntée par King Gizzard & the Lizard Wizard ne pourra pas infiniment dévier, malgré les velléités de ceux qui en définissent le cap. Et Flying Microtonal Banana en est la preuve. À trop vouloir chercher la nouveauté dans ce disque, on comprend vite qu'elle n'est à peu près nulle part. Alors oui, le zurna confère une saveur orientale particulière quand il est bien utilisé, mais il ne permet pas non plus au groupe de se réinventer. Quant aux micro-intervalles censés propulser Le roi gésier dans une autre galaxie, ils ne pourront être véritablement décelés que par une minorité d'auditeurs.
Mais qu'on se rassure : tout cela n'empêche pas les Australiens de nous livrer une fois de plus un album très solide et clairement au-dessus de la moyenne. Un neuvième effort studio qui est notamment porté par un titre d'ouverture monumental qui, à lui seul, mérite que l'on investisse dans Flying Microtonal Banana. "Rattlesnake", c'est le genre de morceau fait pour le bouton "replay", la bombe qui fait de l'ombre aux autres avec sa rythmique motorik et son riff sec comme un coup de trique - d'ailleurs, la rage et l'énergie qu'on y trouve cadrent plus avec l'esprit de Nonagon Infinity, disque furieux au possible. Derrière, on retombe nez-à-nez avec un groupe convaincu et sûr de sa formule (un garage-psyché qui parfois doit beaucoup à la pop), jouant principalement sur les cassures, les nuances et les ambiances. Un disque finalement assez complexe dans le message qu'il délivre et qui démontre le vrai tour de force des Australiens, capables d'accoucher de disques aussi riches dans des délais aussi serrés. Au fait, on avait oublié de vous dire : Flying Microtonal Banana est le premier d'une série de cinq attendus dans le courant de l'année. Pour l'échec au roi, on repassera...