Flumina
Fennesz + Sakamoto
Il s’en est fallu de peu pour qu’on passe à côté de cette nouvelle collaboration, et avec le recul on peut s’estimer heureux que ce Flumina ne soit pas réservé aux seuls Japonais, ce qui était initialement le cas. On retrouve donc, non sans un plaisir certain (et avec quelques mois de retard dus à la sortie européenne différée) ce duo qu’on connaît par cœur. Et pour cause, Flumina clôture un cycle de trois albums collaboratifs pour la paire austro-japonaise, toujours pour les exigeants patrons de chez Touch. Et si quatre années séparent l’excellent Cendre de ce présent travail, on connaît déjà à peu près toutes les ficelles, ou du moins tous les contours, de ce nouveau double disque.
Pourtant, à lire les premiers avis, la recette ne marche plus avec la même intensité. Jusqu’à en devenir chiante pour certains. Un bon gros mensonge qu’on va tenter de démonter en quelques coups de reins.
Premièrement, qu’on ne vienne pas reprocher à Christian Fennesz et Ryuichi Sakamoto de faire ce qu’ils maîtrisent le mieux. Cette répartition des tâches, qui envoie l’Autrichien derrière son laptop et sa guitare et le Japonais derrière un piano de cristal, n’a rien de rédhibitoire. Au contraire, elle distille une impression quasi naturelle, au sens philosophique du terme. Une union qui, à la lumière de certaines pièces, a quelque chose d’immanent, d’indiscutable. Comme une œuvre qui s’imposerait, et à propos de laquelle on ne pourrait que disposer.
Bien sûr, tout cela tient de la métaphore. Les avis subsistent, et les contre-vérités avec. Car si une fois dans Flumina il y a bien une chose qui ne devrait pas se discuter, c’est la variété des chemins qu’il emprunte. Et cela en grande partie grâce à son mode de composition.
Flumina est une œuvre écrite en deux temps, et c’est peut être là son coup de génie. Non pas que cette technique de composition soit particulièrement innovante – a fortiori pour une œuvre collaborative. Disons qu’ici ça marche à plein tube, que ça scelle définitivement le dynamisme de l’œuvre. Ryuichi Sakamoto, seul, composera vingt-quatre titres au piano, un par mois pendant deux ans. Christian Fennesz aura par la suite tout le loisir de venir animer cet instrument solitaire d’un délicieux travail de texture et de grésillements. Ce travail en deux temps nous laisse penser que Fennesz a eu, cette fois, tout le temps d’étoffer sa participation, d’asseoir encore un peu plus son influence matérielle dans la collaboration. Il suffit d’envisager, derrière un Sakamoto qui alterne superbement le piano aléatoire, les chevauchées plus rapides, les notes en chute libre, pour se rendre compte que Flumina est un grand disque.
Certes, ce disque est trop long et la deuxième plaque s’avère d’une qualité supérieure (elle est en réalité exceptionnelle là où la première est simplement très bonne), et il semble donc que le seul défaut de Flumina est qu’il demande trop de temps à son auditeur. A une époque où tout va trop vite, Flumina fait tache. Si vous comptez vous lancer dans cette nouvelle œuvre collaborative, réservez-vous du temps, n’ayez jamais peur de revenir encore et encore à ce que vous pensez déjà connaître. Ce disque le mérite tant.